— Par Selim Lander —
On connaît bien en Martinique Xavier Lemaire et sa complice Isabelle Andréani et c’est un plaisir sans cesse renouvelé de les découvrir dans une nouvelle création. Celle-ci est à part, une pièce sur le théâtre et la mise en scène. X. Lemaire se met lui-même en scène avec un double rôle, celui de conférencier chargé d’expliquer son métier au public (avec des références empruntées à quelques monuments de la profession : Jouvet, Vitez, Mnouchkine) et celui de directeur d’acteurs, en l’occurrence les deux comédiens confrontés aux personnages de Martine et Sganarelle dans le Médecin malgré lui (quel autre auteur que notre grand Molière, en effet, aurait pu s’imposer pour ce genre d’exercice ?)
En guise de démonstration des possibilités de la mise en scène, Isabelle Andréani et Frank Jouglas (que nous découvrons pour la circonstance en impeccable partenaire de la première dans des rôles de comédie) sont chargés d’interpréter de trois manières différentes la première scène de la pièce. La première qui se veut fidèle à Molière, en costumes d’époque et décor « réaliste », n’intéresse pas en tant que telle mais par la distance qu’elle révèle entre nous et le public du XVIIe siècle. Les farces de Molière sont très très loin du public actuel du théâtre et il faut des prodiges de mise en scène pour nous les faire avaler. Monter « classiquement » une farce classique ne demeure possible que si celle-ci devient le prétexte d’un spectacle… spectaculaire[i].
Dans tous les cas, les ressorts de la farce doivent passer au second plan derrière le travail du metteur en scène pour nous amuser. Dans Zig Zag, après cette tentative de restitution d’une interprétation de la pièce fidèle à celle qu’a pu présenter Molière, suivent une interprétation dite « symbolique » – la plus drôle – sans aucun décor, où les deux comédiens vêtus de noir, figés, substituent à la déclamation une profération saccadée tout aussi artificielle, enfin une dernière version « contemporaine-trash » qui se révèle comme de juste la plus proche de notre sensibilité. Ces trois interprétations différentes sont entrecoupées par les explications du metteur en scène et un intermède – qui pourrait être une version « moderne » de ce que l’on peut entendre aujourd’hui par farce – où les deux interprètes sont censés se présenter pour une audition.
Tout cela fait un spectacle décousu – c’est le principe – mais drôle et bien rythmé, qui ne sera évidemment pas reçu de la même manière par les spectateurs avertis de l’histoire du théâtre et par ceux qui en ignorent tout, ou presque. On sent que Lemaire a voulu faire le point sur sa pratique de metteur en scène et livrer une sorte de profession de foi. Il nous surprend, à cet égard, en affirmant que toute bonne pièce de théâtre doit ménager au moins quelques occasions de faire rire les spectateurs, ce qui fait bon marché de la tragédie classique et du travail de Lemaire lui-même dans une pièce comme Qui es-tu Fritz Haber ?
Théâtre municipale de Fort-de-France, 26-28 avril 2016.
[i] On peut citer ici comme une réussite Le Malade imaginaire du Théâtre Kronope avec le lit du malade descendant des cintres et la femme et la belle-mère d’Orgon dûment perruquées et poudrées et juchées sur des échasses (pour se hisser à hauteur du lit).