— Par Yves-Léopold Monthieux —
En permettant à l’un de ses enfants de devenir ministre de l’Etat français, la Martinique aurait-elle peur de perdre sa pureté identitaire ? L’identitarisme serait-il aussi fragile que les idéologies défaillantes auxquelles il a succédé ? Par ailleurs, n’ayant jamais fait la révolution et n’ayant aucun héros connu comme sa sœur, la Guadeloupe (Delgrès), et sa cousine de référence, Haïti (« la première république nègre »), il ne resterait plus à la Martinique qu’à donner, par ci par là, quelques coups de menton, dans l’espoir de faire trembler l’ancien, que dis-je, le néo-colonisateur.
En effet, c’est à celui qui coupera la tête de la statue de Joséphine ; c’est à qui expliquera que sans les incidents du 21 mai 1848, l’abolition n’aurait pas été décidé 3 mois plus tôt, en février 1848, et signé le 27 avril 1848, le mois précédant celui du jour de gloire. Tuer en effigie une impératrice, assassiner le système esclavagiste une fois qu’il y a été mis hors d’usage, ces morts impossibles sont l’apanage des révolutionnaires martiniquais qui sont aussi virtuels que leurs actes manqués.
En ce jour de commémoration de l’Abolition de l’esclavage, ce n’est pas faire offense à la mémoire et à l’histoire de souligner que la libération était plus qu’à portée de main, le 22 mai 1848 : elle était signée, promulguée et connue des esclaves. Cette date peut cependant être regardée comme le symbole des luttes précédentes menées, sans perspective de réussite visible, comme en 1848, et oubliées par l’histoire. Cette libération s’ouvrait-elle sur une réelle liberté ? La réponse peut se lire dans les évènements de 1870 qui se sont produits dans le sud de la Martinique et qu’a rapportés Gilbert Pago dans son livre intitulé tout simplement « L’insurrection de la Martinique ».
Ainsi donc, chaque fois qu’un nouveau visage de l’outre-mer apparaît au sein du gouvernement, revient cette récurrente question de savoir s’il y a lieu, pour les Martiniquais, de regretter de ne pas en être. Cependant la question ne fait pas vraiment débat puisque la négative est cultivée à gauche et imposée à droite. Après avoir suggéré que Césaire n’en voulait pas, sans que personne n’en apporte la preuve, il serait devenu « intelligent » de dire que le ministère des DOM ne sert à rien et qu’il conviendrait de le supprimer. Il serait « progressiste » de dire qu’un Martiniquais n’a rien à faire dans un gouvernement français. Bien sûr, on est toujours à court d’arguments rationnels pour justifier cette mâle affirmation. On se raccroche tout simplement à des résidus d’idéologies qui ont toutes échoué.
Est-ce en effet réaliste de prétendre qu’un ministre issu des DOM n’a rien à apporter à son pays alors que le moindre joueur de foot-ball de troisième division évoluant en métropole est regardé comme participant au rayonnement de Matinino ? J’ai déjà souligné l’effet d’entrainement d’une attitude qui participe à l’absence des Martiniquais des hautes fonctions administratives, judiciaires et militaires. Nos amis domiens n’ont ni les mêmes pudeurs ni la même fierté que nous et veulent bien être qualifiés de « sous-ministres ». Mme Taubira a offert à la Guyane son université, détruisant au passage celle des Antilles et de la Guyane, tandis que la Martinique a été humiliée aussi bien dans cette affaire que dans celle du cyclotron, avec les bons baisers de l’ancien ministre Victorin Lurel.
Certes, il n’est pas très glorieux de nommer des ministres pouvant apparaître comme des alibis. Lesquels peuvent servir aux gouvernements à s’assurer la tranquillité des élus domiens, ces derniers n’osant guère s’attaquer aux « originaires » qui se trouvent à des fonctions de responsabilité. On peut donc être réservé quant à la nomination devenue systématique de domiens au ministère de l’outre-mer. Mais on peut l’appeler comme on veut, ministère ou haut commissariat, dans un pays où la raison et la logique sont censées dominer les comportements, il serait ridicule qu’il n’y ait pas un lieu et une structure uniques où les affaires concernant l’outre-mer soient considérées, à la fois, dans leur globalité et leurs spécificités.
Enfin, qui peut affirmer que les ministres Henri Emmanuelli, Louis Le Pensec, Bernard Pons ou Brigitte Girardin, pour ne citer qu’eux, n’aient servi à rien dans le développement de la Martinique ? On en appelle souvent au respect des spécificités et à la nécessité pour les ministres de bien connaître les DOM. Or ce sont parfois les mêmes qui estiment que si nous sommes français il n’est pas besoin de ministère spécifique. Pourquoi, en effet, cet intermédiaire entre nos élus et les ministres, se demandent-ils ? Pourquoi ne pas dans la foulée éviter le passage par le Gouvernement, pensent-ils peut-être ? N’est-ce pas la relation directe avec le président de la république, de nation à nation, qui conviendrait le mieux à notre rang ? En réalité, ce réflexe souverainiste cher tant aux autonomistes qu’aux indépendantistes, se préoccupe peu que la propension à vouloir se distinguer des autres territoires ne nous fasse pas que des amis.
Il demeure que la Martinique tient à son record : zéro Martiniquais sur la dizaine de ministres domiens ayant participé aux différents gouvernements, c’est notre fierté. Cette démarche idéologique devrait conduire nos dirigeants politiques à renoncer à se présenter aux élections législatives. Et pourtant, posture quand tu nous tiens ! Pour 4 postes de députés à pourvoir, la Martinique enregistre 53 candidats.
Fort-de-France, le 22 mai 2017
Yves-Léopold Monthieux