Propos recueillis par Rodolf Etienne/France-Antilles Martinique
INTERVIEW – Dans les années 70, la jeunesse afro-américaine subit de plain-pied l’engagement de ses leaders : Malcolm X et Martin Luther King pour citer les plus fameux. Un héritage vite dénaturé par le système blanc américain. Zayid Muhammad, alors dealer, va chiper un livre chez une de ses clientes. Il s’agit de l’Autobiographie de Malcolm X. Ce livre va changer son destin et celui de beaucoup d’autres de sa génération.
1/En tant que jeune afro-américain, les choses n’ont pas toujours été simples pour vous. Vous avez découvert Malcolm X dans des conditions un peu particulières. Pouvez-vous nous en dire plus ? C’était le début des années 70 ?
La découverte de Malcolm X ? Je dis toujours qu’en tant qu’Afro-américain, l’influence de Malcolm a toujours été primordiale pour nous. Il continue de nous guider aujourd’hui encore. Prenons mon propre exemple. Je n’ai pas appris l’enseignement de Malcolm en salle de classe avec un bon professeur. Je l’ai connu lors d’un deal de drogue. Et beaucoup d’entre nous l’ont connu en prison. Dans mon cas, je suivais la pente qui m’aurait certainement emmené directement à la case prison. C’était donc lors d’un deal et la fille à qui je livrais la drogue avait l’autobiographie de Malcom X posé sur son divan, dans son salon. Je lui ai demandé de quoi traitait le livre. Malcolm X était pour moi juste un homme plein de mystères et qui avait intrigué mes aînés. A peine avait elle quitté la pièce pour aller me chercher mon dû que le livre en question disparaissait. C’était une époque difficile pour moi. J’ai carrément dévoré ce livre avant de changer radicalement de moyens de survivance et finalement de changer de vie. J’avais 17 ans ! C’était en 1977. Aujourd’hui, j’en ai 53 et les jeunes m’appellent « Baba » (rires), ce qui signifie « le grand frère » ou « le sage ».
2/La religion et, en particulier, l’Islam a aussi été, pour cette génération, une porte de sortie, un moyen de se relever en tant qu’homme. C’est aussi votre avis ?
Dire que la Nation de l’Islam a été pour ma génération une porte de sortie, un moyen pour notre jeunesse de se relever, oui, c’est absolument vrai. Je me demande ce que cela aurait pu être sans l’exemple de Malcolm. Il faut aussi reconnaître l’influence d’hommes tels qu’Elijah Muhammad et de son fils Wallace, que j’ai personnellement fréquenté en ce temps-là. Ce que la Nation de l’Islam a fait pour Malcolm en le sortant de la rue, moi comme d’autres frères en avons aussi bénéficié. Je dois reconnaître que cette approche peu orthodoxe et qui privilégiait nos problématiques en tant que jeunes noirs nous a beaucoup aidé. C’était une véritable porte de salut. L’Islam nous permettait de mettre en valeur notre héritage africain, ce que les religions d’obédiences chrétiennes aux Etats-Unis ne nous permettaient pas. De plus, la notion de discipline était très importante. Cette discipline nous a permis de relativiser notre quotidien de la rue, le crime, le sexe, la drogue et toutes ces choses qui étaient finalement très dangereuses pour nous. La vie de Malcolm X nous montrait et continue de nous montrer comment devenir un homme, comment devenir un homme spirituel, comment devenir un homme responsable, comment devenir, en définitive, un guerrier pour le changement.
3/Quelle était précisément la situation des jeunes Afro-américains à cette époque ?
Ma génération, compte tenu des luttes menées par nos pairs dans les années 60, n’était en rien préparée à ce qui allait advenir de son ambition. Nous devions être la génération la plus stable, la plus établie depuis la Seconde Guerre Mondiale, si notre histoire avait été prise en compte et validé. Ce ne fut pas le cas. L’autre bord ne nous a laissé aucune chance. Nos opposants ne pouvaient accepter l’idée que, comme nos parents, nous puissions souhaiter retrouver notre digne place au sein de la société. Qu’ont-ils fait ? Ils ont injecté plus de drogue, encore plus de drogue au sein de notre communauté, plus que jamais auparavant. Dans les années 80, le crack et la cocaïne inondèrent nos quartiers comme cela avait été le cas dix et vingt ans plus tôt avec l’héroïne. L’idée était d’interdire à notre génération de profiter des acquis de ses pères. Ce fut un véritable carnage ! Si tellement que la violence interne n’avait jamais atteint de tels records, de tels chiffres. Nous n’avions jamais connu autant de drames, ce qui a effrayé nos leaders qui ne voyaient plus comment inverser la tendance. Là encore, nous avions l’exemple de Malcolm X, qui, du plus profond de la fosse, de sa cellule, nous enseignait encore. La résurgence de la Nation de l’Islam, sous le ministère du Docteur Farrakhan était un mouvement clé. Elle a remis les hommes, les guerriers dans la rue. A cette époque, je ne suivais pas le mouvement, parce que le discours de haine contre Malcolm était encore très virulent au sein de la Nation de l’Islam. Oui, le rôle de l’Islam fut capital.
4/Vous êtes de la génération d’après Malcom X. Selon vous, comment son message est-il d’actualité aujourd’hui encore ?
Le message de Malcolm a l’attention des jeunes est le même aujourd’hui qu’hier. Notre jeunesse doit se réveiller ! Elle doit comprendre que les paradigmes de la démocratie blanche ne lui sont pas destinés et qu’elle ne peut en aucun cas en être participante ou bénéficiaire. Malgré tout le respect que nous devons à notre président actuel. C’était le cas pour nos ancêtres, ça a été le cas pour nous et c’est le cas pour eux. Cette situation a été maintenue par la violence du système afin que nous soyons encore en servitude, de sorte que nous ne puissions en aucun cas avoir la maîtrise de notre propre destin. Une fois que nous avons assimilé la réalité du paradigme, nous devons développer notre maturité individuelle et collective, notre discipline de sorte que nous ne soyons plus déçus et pris dans cet engrenage infernal. Cela est valable tout autant pour nos vies personnelles que pour la vie du groupe.
5/Selon vous, quel est, aujourd’hui, le message essentiel de l’engagement de Malcolm X qui devrait être adressé à la jeune génération ?
Debout ! Nous sommes nos propres libérateurs ! Nous devons briser ces chaînes modernes qui dominent nos vies et distiller la force de vie au sein de notre communauté. Et nous devrons briser ces chaînes de façon armée si nécessaire. Nous sommes confrontés à ces barrières ici même aux Etats-Unis, mais nous devons comprendre aussi que ce combat inclut les autres communautés noires du monde et notamment les communautés d’Afrique continentale. Faire cesser la pauvreté, l’exploitation et le pillage du continent africain doit aussi être l’une de nos motivations.
Propos recueillis par Rodolf Etienne/France-Antilles Martinique
Zayid Muhammad
Activiste, journaliste et poète, Zayid Muhammad est aujourd’hui Ministre national de la Culture du Nouveau Black Panther Party. Il est devenu, au fil du temps, un spécialiste de l’œuvre et de la vie de Malcolm X auquel il a consacré de nombreuses recherches. Un parcours qui l’a amené à s’engager auprès des jeunes de sa communauté.
Malcolm X
Malcolm X (19 mai 1925 – 21 février 1965), né Malcolm Little, également connu sous le nom d’El-Hajj Malek El-Shabazz, était prêcheur musulman, orateur et militant des droits de l’homme, défenseur des droits afro-américains. Il mit en accusation les États-Unis pour ses crimes et la ségrégation raciale envers la communauté noire.
« Je suivais la pente qui m’aurait certainement emmené directement à la case prison… »
« L’idée était d’interdire à notre génération de profiter des acquis de ses pères… »
Photo 1 : Aujourd’hui Zayid Muhammad porte fièrement le titre de « Baba », marque de respect suprême au sein de la communauté afro-américaine.
Texte déjà publié dans France-antilles.