—Par Roland Sabra —
Le trio Frankito, Irène Bicep, Christian Julien, a pris ses marques en Martinique depuis quelques année. En 2017 il nous proposait « Bòd lanmou pa lwen » ( Les rives de l’amour ne sont pas loin), une pièce dans laquelle Lak-La ( Gérard) après être tombé fou amoureux de Léna, va croiser sur son chemin Zaza, dont là encore, il deviendra « zinzin ». Pour un temps, peut-on prévoir. Franck Salin, alias Frankito, dresse une critique douce amère, de l’inconstance amoureuse des hommes antillais, de cette difficulté à s’assumer autrement que comme géniteurs. Sociologues, psychanalystes, anthropologues discourent depuis longtemps sur ce thème, à cet égard on pourra consulter sur ce site « La matrifocalité caribéenne n’est pas un mirage créole » de Stéphanie Mulot, «De la famille antillaise » de Victor Lina, Fonction du père et récidive en milieu carcéral à la Martinique de Joëlle Blais ou encore La violence à l’égard des femmes : un symptôme de la misère sexuelle masculine. par Roland Sabra.
Avec « Zantray » Frankito s’attache au problème de la violence intra-familiale. Un personnage, José, tombe (pourquoi tombe ?) devient éperdument amoureux de Marie-Paule. Il l’extirpe de la petite boutique où elle végétait, lui offre une nouvelle vie, la couvre de cadeaux, pas tout a fait dénués d’ambivalence, puisqu’il s’agit pour l’essentiel d’instruments ménagers qu’elle accepte volontiers excepté un lave-vaisselle dont elle ne veut pas entendre parler souhaitant que cette tâche soit assurée par José comme témoignage de sa participation, la seule semble-t-il, aux tâches de la maisonnée. Horreur ! José se sent humilié, diminué à l’idée de plonger ses mains, même avec des gants de caoutchouc dans l’eau de vaisselle. Les disputes finissent par lasser Marie-Paule d’autant plus que cette tâche va devenir un point de crispation, la plaque projective de toutes les tensions, les non-dits, les détestations refoulées du couple. Ils ont deux enfants, Wesley comme la commune de la Dominique(!) et Kimberley comme le chef-lieu de Cap-Nord en Afrique du Sud(!), des prénoms utilisés pour l’essentiel en outremer. Les gamins vont être l’ultime enjeux de ces haines conjugales qui ne sont que l’autre face de ces amours étouffants, dévorants, qui empèchent de vivre, mortifères en un mot.
Marie-Paule se détache de José, elle finit par le quitter au profit de Jean-Charles, un homme au teint clair plus attentionné. L’image parfaite du rival absolu. Et José va commettre l’irréparable. Pour échapper à la prison à vie suite au plus horrible des crimes dont il se rend coupable, il va jouer la folie pour se retrouver dans un Hôpital Psychiatrique et c’est là que Marie-Paule, armée d’un couteau vient le visiter quelques années plus tard.
Frankito joue de l’ambiguïté à propos de son personnage. Véritablement fou ou seulement simulateur ? On ne sait pas trop. Macho, jaloux, possessif (redondances) sans aucun doute, singulièrement obsessionnel, il est le frère aîné du Gérard de « Bòd lanmou pa lwen », ce qui témoigne d’une permanence dans les préoccupations de l’auteur, tout comme l’est son style d’écriture empreint de toute une série d’images poétiques, parfois en décalage avec la situation qu’elles prétendent vouloir dépeindre, mais qui n’en gardent pas moins une force évocatrice redoublée par l’usage du créole. De même le scénario qui repose sur la visite d’une femme à son ex-compagnon, simulant une folie non déjouée par le corps médical, enfermé dans une chambre d’un HP après avoir commis le plus horrible des assassinats, pour se venger, s’il apparaît peu crédible, est secondaire par rapport au propos qu’il prétend servir à savoir, répétons-le, la dénonciation de la violence au sein de la famille. Ne serait-ce que pour cette raison il faut aller voir « Zantray ».
R.S.
Fort-de-France, le 10/02/23