— par Selim Lander —
Bestiaire chorégraphique
3-4-5 avril 2008 au Théâtre de Fort-de-France
Décidément, les mauvaises habitudes ont la vie dure. A Fort-de-France où l’on n’est pas submergé par une offre surabondante de spectacles vivants, on observe souvent que les représentations, au lieu de s’étager tout au long de l’année suivant un calendrier harmonieux, sont souvent programmées de façon à se phagocyter mutuellement. A croire que les responsables de la programmation ont suivi des études de sciences économiques et qu’ils en sont sortis convaincus à tout jamais des vertus de la concurrence.
Le 3 au soir pour la première de Zandoli, il n’y avait pas beaucoup plus de 30 personnes au Théâtre de Fort-de-France. Sans doute les afficionados du spectacle vivant s’étaient-ils précipités à l’adaptation martiniquaise de Soweto, présentée exactement aux mêmes dates, 3-4-5 avril à l’Atrium… On espère que les deux soirées suivantes seront plus équilibrées et que l’on verra davantage de spectateurs au Théâtre car il n’est pas normal que des artistes de qualité se produisent devant une salle presque vide.
Claire Moineau dans Crescendo
D’autant que le spectacle offre un prologue, non annoncé sur le programme, qui justifierait à lui seul le déplacement de tous les amateurs de danse. Tous y trouveront leur compte en effet, aussi bien ceux qui se pâment devant les entrechats de la danse classique que ceux qui vibrent à l’unisson des déhanchements de la danse contemporaine. Claire Moineau – que l’on retrouvera dans Zandoli – interprète un solo, Crescendo, qu’elle a elle-même chorégraphié (avec José Bertogal). Sur une trame musicale variée alternant les airs d’opéra avec les rythmes les plus modernes, Claire Moineau ne se contente pas de danser, elle se donne complètement, elle joue – au meilleur sens du terme – elle interprète des situations, un personnage. Cela se voit dans les attitudes comme dans les expressions qui évoquent aussi bien l’étonnement, la douleur, le bonheur ou le repos. Quant à la gestuelle, elle exprime plus souvent l’effort, la difficulté à vaincre les obstacles innombrables que la joie de vivre. Rien de plus émouvant que de voir ce petit bout de femme se débattre dans un filet invisible et puis, soudain, se relever pour entamer un dialogue muet avec le projecteur-soleil qui éclaire la scène en diagonale. Alors, tout change, la sérénité s’installe pour un instant, avec quelque chose qui ressemble peut-être en effet au bonheur. Claire Moineau a une formation de danseuse classique et hip hop tendance « pop », formes qu’elle marie harmonieusement. A découvrir.
La compagnie Difé Kako
Ambiance très différente avec Zandoli Pa Tini Pat, titre extrait d’une vieille chanson créole. L’argument de ce ballet moderne de la compagnie Difé Kako, chorégraphié par la Guadeloupéenne Chantal Loïal pourrait paraître austère puisqu’il y est question de pollution et de chlordécone, mais il n’en est rien. L’humour, la légèreté sont sans cesse présents, aussi bien dans la musique, les costumes que la chorégraphie elle-même. Chantal Loïal est passée par le Ballet National du Congo, cela se voit dans Zandoli où les danses africaines interviennent souvent (moins déchaînées toutefois que celles que l’on peut observer dans les faubourgs de Dakar ou d’autres métropoles africaines). La scène est censée représenter un jardin, un jardin peuplé plutôt par les chenilles, les papillons, les petits oiseaux et, complémentairement, les épouvantails (affublés d’un derrière proéminent) que par des humains, même si ceux-ci n’en sont pas totalement exclus puisqu’on y voit aussi parfois des paysans, une Joséphine Baker avec sa fameuse ceinture de bananes ainsi qu’une improbable impératrice Joséphine munie d’une ombrelle.
Les quatre danseurs jouent collectif et il serait bien hasardeux d’en signaler un plutôt que l’autre. Même Claire Moineau ne se détache pas vraiment de l’ensemble. La danse est toujours là mais elle passe presque au second plan derrière les anecdotes que l’on nous conte ou que l’on devine. On a l’impression de feuilleter un livre d’images ou de contes illustrés, dont on s’amuserait à déchiffrer les vignettes. Qu’est-ce que c’est que celle-ci ? Et celle-là ? On ne cesse de sourire, ou de rire, conduit par une attitude, la mimique d’un danseur, ou une trouvaille de la mise en scène, comme celle qui consiste à faire apparaître sur la scène des paires de bottes en caoutchouc bariolées avec lesquelles la danse se fera pas pesants et sonores. Un musicien / chanteur / conteur / meneur de jeu complète le ballet ; d’origine cap-verdienne, il fredonne parfois quelque chanson en portugais, ce qui ne l’empêche pas, si besoin est, de s’exprimer dans un français parfait.
Les danseurs : Claire Moineau, Frank Richard, Sandra Sainte-Rose, Julie Sicher.
Le musicien : Anildo Silva.