— Par Roland Sabra —
Après Camus et son Caligula, c’était au tour de Gombrowicz de nous balader du coté de l’absurde avec sa princesse de Bourgogne prénommée Yvonne. Mais si Camus emprunte les chemins de la philosophie, de la rationalité et de la dramaturgie conventionnelle l’auteur polonais, lui s’aventure du coté de Beckett ou de Ionesco quand bien même il réfutait cette comparaison. On retrouve chez lui la réduction des personnages au rôle de pantin et la disparition de toute logique sociale dans les comportements. La seule préoccupation de Gombrowicz semble être le Moi de ses personnages qu’il fragmente, brise, névrotise à l’image d’une perception de la réalité confondue avec la fiction. Fidèle à Buffon il reprend à son compte l’aphorisme « Le style c’est l’homme même » quand il déclare : « « Ce n’est pas de ce mystérieux « talent » que part l’écrivain pour écrire, mais de lui-même. »
Il est prince, s’ennuie et pourtant ses désirs sont des ordres. Il veut faire la nique à son père le roi et décide donc d’épouser une roturière laide, apathique, peureuse, anémique, « molichonne », se déplaçant avec l’énergie d’une nappe d’huile sur un papier buvard. Objet de toutes les moqueries de la cour, elle est absente à elle-même et au monde qui l’entoure. Mais voilà le prince n’a pas les épaules assez larges pour assumer son choix provocateur face au roi, à la reine et à la cour prisonniers du théâtre d’ombre qui les mène et sur la scène duquel Yvonne refuse de paraître. Elle en révèle l’artificialité et l’inanité. Elle sera donc condamnée à mort.
Arielle Bloesch dans sa mise en scène épouse à la lettre la consigne de Gombrowicz : « Ne pas jouer ça trop sérieusement. » La tragi-comédie est traitée à la limite du burlesque, costumes, jeu des comédiens amateurs, sont au service d’une dénonciation d’un pouvoir enfermé en lui-même jusqu’à la folie. La distribution des rôles en ajoute à l’extravagance avec une reine longue comme un jour sans pain, un roi rondouillard court sur patte et un prince sûrement père de famille. Sous la farce pointe un malaise dans la façon dont est traitée la princesse un peu neuneu à la limite du handicap. Le rire de la salle parfois s’étrangle. Ou du moins il devrait.
Il faut aborder les artistes à la hauteur de ce qu’ils prétendent être : amateurs ou professionnels. L’appréciation sera fonction. La troupe est très clairement de la catégorie à laquelle elle revendique avec force d’appartenir : amateure. Ils disent leurs répliques en agitant les bras comme des oisillons tombés du nid battent des ailes sur le sol, envahis par la détresse de ne pouvoir s’envoler. Sous l’empire du trac, ils oublient parfois le public qui peine à les entendre. Ils respirent avec le haut du corps et privent du souffle la réplique qui vacille et se perd. Peu importe. Le plaisir, l’énergie, en un mot le bonheur qu’ils ont à être sur la scène d’un vrai théâtre est tel qu’il emporte le reste et le fait oublier. Le travail est honnête, fidèle, au-delà des coupures opérées dans le texte, à l’auteur. Et puis la dernière fois que l’on a joué Gombrowicz sur une scène de théâtre en Martinique, quand était-ce ? Le public nombreux, la salle était pleine à craquer, a manifesté sans rechigner en aucune façon son approbation et son plaisir. Et c’est tant mieux !
Fort-de-France, le 15/11/19
R.S./