Par Selim Lander – Après les jeunes migrants guatémaltèques lancés dans une mortelle randonnée vers leur Eldorado nordique (Rêves d’or de Diego Quemada Diez), un autre film qui nous vient du Mexique, Workers de Jose Luis Valle, aborde le monde du travail, cette fois, et sur un mode plutôt optimiste. Car si l’exploitation est bien là et les différences de richesse aberrantes, tout finit bien pour les travailleurs du film. L’un, ouvrier (« agent de surface », plus précisément), s’est sorti de l’analphabétisme et va enfin toucher une retraite bien méritée ; les autres héritent une copieuse somme de leur patronne sous la condition suspensive qu’ils devront s’occuper de « Princesse », sa chienne adorée, jusqu’au décès de cette dernière. Si le film ne s’inscrit pas à 100 % dans l’idéologie néolibérale (il ne présente pas les inégalités comme tout-à-fait normales, quoique l’exploitation soit atténuée par « l’humanité » des maîtres), il est en tout cas une œuvre postmoderne. La perspective de la Révolution en est totalement absente. Il n’y a pas de solution du « problème social », le salut ne peut être qu’individuel. L’ex-ouvrier modèle, révolté de n’avoir pu prendre sa retraite à l’âge normal, se met à saboter son usine et il ne doit qu’à la bienveillance de ses patrons devenus miraculeusement compréhensifs, de toucher un chèque de départ dont on ne connaît pas le montant mais qu’on imagine, à voir la mine de l’intéressé, plutôt généreux. Quant aux employés de maison, pressés de toucher le pactole, ils comploteront afin de provoquer la mort prématurée de la chienne dont ils ont la garde. Que leur victime ne soit qu’une levrette (certes innocente et remplie d’amour) – et qu’il soit par ailleurs carrément « antispéciste » de mettre une petite escouade de domestiques au service d’un simple animal ! – est sans nul doute destiné à rendre cet assassinat anodin aux yeux des spectateurs.
Le film ne démontre pas de qualités cinématographiques notables, en dehors des images d’ouverture et de fin qui commencent toutes deux par un long plan fixe sur une plage déserte avec des oiseaux. Puis un lent mouvement de rotation de la caméra donne à voir une sorte de palissade (un brise-lames ?) qui pénètre dans la mer. Ensuite, dans la séquence d’ouverture, nous apercevons une maman et son enfant. La maman est collée à la palissade : elle sort un thermos de son sac et offre une tasse du breuvage, puis un sandwich à quelqu’un invisible derrière la palissade, en fait une barrière faite de hauts poteaux rapprochés qui se continuent jusque dans la mer. Nous comprenons que l’autre côté doit être une prison, ou tout au moins une maison de correction, d’autant que des panneaux indiquent qu’un dispositif dissuasif se situe sous l’eau pour qui voudrait se hasarder à nager. La caméra tourne ensuite dans l’autre sens pour nous montrer un homme. Si nous sommes malins, nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une famille (papa, maman et enfant) qui rend visite au fils aîné en prison. Le « papa » sera l’ouvrier de l’usine. Quant à la « maman », si nous avons été attentifs, nous la reconnaîtrons dans la gouvernante de la vieille dame riche. Mais comme aucune interaction n’a lieu entre l’homme et la femme pendant le reste de l’histoire, qui se déroule quelques années plus tard, alors que l’enfant est déjà mort accidentellement – nous apprendrons seulement qu’ils ont été, chacun, mariés puis se sont séparés –, le spectateur non averti par la notice distribuée avant le film comprendra sans doute seulement à la fin ce qu’il en est exactement, à l’occasion d’une séquence symétrique de la première, tournée donc de l’autre côté de la barrière, qui montre le fils prisonnier recevoir la tasse (de café ? de thé ?) et le sandwich d’une personne qui demeure cachée.
Le CMAC à Madiana, les 12 et 17 février 2014.