« Wopso » et « Départs » : les audaces maîtrisées de José Exélis

— Par Roland Sabra —

Beauté » de Stéphane Martelly

José Exélis est un homme d’aventure. Aventure littéraire et théâtrale il va de soi. José Exélis aime les femmes. La féminité très exactement. Il manifeste un profond respect et une sourde admiration pour le genre féminin, dont il pense à juste titre qu’il est capable d’ intelligence et de subtilité bien supérieures à celles des hommes, et bien évidemment tout cela perle dans son travail de metteur en scène. Dans « Les enfants de la mer », pièce éponyme de sa compagnie, c’est peu dire qu »il aime les femmes, elles sont sept sur scène, à nous donner une leçon de courage, de ténacité, d’entraide et d’espoir au coeur sombre des dictatures dans une forme théâtrale de déconstruction des genres. Quand il se confronte à l’Othello de Shakespeare il cristallise la haine et l’envie sur le seul Iago pour en faire le parangon des humaines passions et nous tient en haleine en convoquant sur scène, sur les épaules d’un seul, la troupe entière du Théâtre du Globe.

De l' »Art poétique » il semble avoir pris pour devise
« Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. 
»

Effacez! l’injonction de Boileau est implacable. Qui s’y plie est un Sysyphe enchaînant Thanathos. Le danger au théâtre est toujours d’en faire trop mais comment éviter que les représentations ne soient des monstrations?

L’Office du Tourisme de Fprt-de-France et la Compagnie des Enfants de la mer ont eu l’idée originale d’offrir en libre accès deux soirées théâtrales. Le premier soir il s’agissait d’investir la cour de l’ancien palais de Justice, espace magnifique orné de manguiers centenaires sous un spot lunaire, invité impromptu et fantasque de la nuit foyalaise.

Wopso!

Au programme Wopso ! de Marius Gottin mis en scène donc par José Exélis. Wopso est une interjection, qui ne veut rien dire, donc polysémique à souhait et qui ponctue les discours manifestes de deux vieux messieurs, dans un improbable hall d’aérogare de Fort-de-France dans l’attente d’un départ incertain pour Sainte-Lucie. Deux vieux clowns comme une vie en transit, pris dans l’impasse du temps qui passe et qui bientôt seront jetés sur les rivages de la mort. Que faire quand il n’y a plus rien à faire? Dire ce qui n’a jamais été dit et qui a toujours été su dans l’émotion, la colère et l’amour. L’amour de ces deux là, pour sûr qu’ils s’aiment Fulbert et Auguste, sinon la détestation ne serait pas si grande, mais aussi l’amour pour les femmes, ces fantômes qui les hantent de n’avoir jamais su les toucher du mot juste. Alors reste la parole, française-créole, créole-française, la jonglerie des mots pour dire, Paulette, Thérèse, Atisousoune, la jalousie, la tendresse et la mort. Les vies s’envolent ne restent que les paroles appuyées sur les notes d’un harmonica essoufflé pour qu’enfin se murmurent dans l’entre deux des langues, dans l’entre deux des mots l’esquisse d’une ébauche de vérité. Il y a du Beckett chez Marius Gottin, ce qui n’est pas peu dire, dans cette écriture du dérisoire qui nous cerne et de l’insensé qui nous gouverne. Marius Gottin est un gai pessimiste dénué de tout cynisme qui semble croire que l’humanité n’est qu’un passage, un transit.

José Exélis a su lire ce beau texte. Sa mise en scène empreinte d’une légère élision du côté sombre de la farce est rigoureuse, réglée et enlacée au plus près du verbe gottinien. Il est aidé en cela par deux magnifiques comédiens, Emile Pelty et Charly Lerandy qui visiblement complices et ravis d’être en scène s’en donnent à coeur joie, un peu trop par moment, le premier soir de la reprise. Ils cédaient en cela à l’invite du public, ravi lui aussi et qui anticipait les répliques des deux protagonistes. Par ailleurs jouer en plein air incite à forcer le trait, la voix, à l’excès. Les lumières travaillées par l’astre lunaire un peu fantasque, méritaient un autre traitement. Reste l’essentiel à savoir Wopso! est un spectacle entre rires et larmes, entre ici et là-bas, qui puise aux sources des identités caribéennes, martiniquaises une pièce inscrite au répertoire d’ici, bien servie par une mise en scène millimétrée, qui serait mieux mise en valeur dans un espace clos. Mais la soirée était belle.

« DEPARTS »

Le second soir dans un tout autre lieu, la salle Frantz Fanon de l’Atrium José Exélis proposait la mise en voix et en espace d’un texte de l’écrivaine et peintre Stéphane Martelly, née à Port-au-Prince en 1974 et qui vit aujourd’hui à Montréal. Elle est connue dans le monde universitaire pour un essai, parmi d’autres travaux, sur le poète Magloire-Saint-Aude. Herméneute et sémioticienne elle s’intéresse à l’interprétation ( of course), aux conditions de figuration et d’énonciation de soi et d’une façon plus générale aux espaces de marginalité. Auteure de contes pour enfants elle a aussi publié deux textes poétiques : La boîte noire et Départs. C’est ce dernier texte «Départs» qui était donné à entendre. Comme le chante Ferré « le verbe ne prend son sexe qu’avec la voix comme le violon avec l’archet qui le touche » La sensualité d’ Amel Aïdouni et la musicalité d’Alex Bernard à la contrebasse et de Jeff Baillard à la guitare ont donné raison au vieux Léo.

Sur scène pour une quarantaine de spectateurs, les autres sont à leurs places habituelles, des chaises délimitent avec le fond de scène une sorte d’arène tout en permettant à la comédienne de se déplacer dans ce public-décor. De décor pour dire vrai, il n’y en a pas, justes des espaces sculptés par la lumière. Les accessoires ? Un cabriolet sur roulettes et deux bassines d’eau. Et commence la danse. D’abord la danse des mots de ce long poème qui prennent chair par la voix puissante et fragile, rageuse et tranquille, tellurique et enfantine, de la jeune et belle mais surtout prometteuse Amel Aïdouni. Mais aussi la danse dialoguée des notes et des voyelles des accords et des lettres dans la belle complicité des corps et des sons. Et puis la danse de la chair et de la matière. La matière en l’occurrence est un cabriolet sur lequel, dans lequel, avec lequel, contre lequel, par lequel se dit ce qu’il en est des départs, de ce qui ne part pas dans un départ, de ce dont on ne peut se départir, et ce qu’ils ne sont pas, la mort, la fin , la finitude, mais une nécessité pour de nouveaux départs.

La difficulté dans cet exercice est de rendre, compatible, compréhensible le dialogue du geste et du verbe. La beauté du poème se suffirait-elle à elle-même? Pas si sûr, Stéphane Martelly a procédé à Montréal à une lecture de son poème dont on peut entendre des extraits sur le web. Décevant, effroyablement décevant ! On mesure mieux l’importance du travail de José Exélis et de son trio. Cependant il faut reconnaître que la comédienne semble parfois écartelée entre le dire et le faire et quand ce dernier l’emporte sur le premier le langage du corps nous emmène presque du côte de chez Charcot. Toujours ce même danger! Avec plus de sobriété et plus d’intériorité la prestation gagnerait en intensité et en force.

Il faut saluer le travail de la Compagnie des enfants de la mer, qui justifie par son travail d’innovation les soutiens dont elle bénéficie, ce qui n’est hélas, pas le cas de toutes les « troupes » martiniquaises souvent « unipersonnelles ». Elle nous offre une belle illustration de ce qu’est la création théâtrale avec ses prises de risques inhérentes au métier, mais dans ce cas précis jamais gratuites, plutôt maîtrisées et toujours au service du théâtre. Alors José Exélis ? : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace…. »

Fort-de-France, le 22/04/2007

Roland Sabra

Lire la critique de Selim Lander sur « Départ »