Wadjda : un petit bijou saoudien

—Par Roland Sabra —

 

En deux plans, les deux premiers, tout est dit. L’ouverture du film se fait en plan rapproché sur une dizaine de gamines récitant une prière, toutes de noir vêtues. Le regard se porte sur l’une d’elle, cheveux lâchés sur le dos et qui dégagent le visage, elle est la seule à porter des percings aux oreilles. Ensuite vient un gros plan sur les pieds des récitantes qui montre des chaussons noirs des chaussettes blanches et… une paire de converse. De la tête aux pieds Wadjda est donc une non conformiste, une hétérodoxe. On le sait les premiers plans d’un film, tout comme la première phrase d’un roman, «  Longtemps je me suis couché de bonne heure »(1) sont déterminants. Une œuvre mal commencée est souvent une œuvre ratée et inversement. Cela apparaît comme une vérité de toute évidence avec ce tout premier film saoudien réalisé par une femme, Haïfaa Al-Mansour et qui,  avec subtilité et beaucoup de tact, traite, excusez du peu, de la condition féminine en Arabie Saoudite !!

 

Wadjda, une douzaine d’années vit dans les faubourgs de Riyad, la capitale de l’Arabie Saoudite, avec sa mère et son père qui appartiennent à la classe moyenne. La mère est professeur et ne peut plus avoir d’enfant. Le père on ne sait pas trop, occupé qu’il est à prendre une seconde épouse sur l’injonction de sa mère. Wadjda va à l’école, en jean et baskets, écoute le blondinet Justin Bieber artiste de Pop et de R’n’B et ne rêve que d’une chose : avoir un vélo pour défier son copain Abdallah. Mais voilà en Arabie Saoudite, les vélos sont réservés aux garçons. Il n’est pas séant, et cet un euphémisme, pour une jeune fille de monter sur un vélo : elle risquerait de ne pouvoir enfanter plus tard !! Devant le refus de sa mère de l’équiper d’une bicyclette, Wadjda, jusque là pas franchement kâfir (mécréante) mais pas loin, décide de se procurer par ses propres moyens les 800 rials nécessaires à l’achat du vélo convoité. Pour les besoins de sa cause elle s’inscrit au concours de récitation coranique organisé dans son école et doté d’un prix de 1200 rials.

 

Un des grands mérites de ce film est de nous montrer avec finesse, humour et subtilité, un monde, le royaume wahhabite, que nous ne connaissons pas, au delà des clichés complaisamment diffusés ici où là. Les hommes font de la figuration en toile de fond, sur le devant de la scène les femmes sont les gardiennes de l’ordre moral qui les contraint. Les filles louvoient entre tradition et mondialisation. La réalisatrice capte avec beaucoup d’à propos et de précision l’attention du spectateur sur une culture complexe et les rapports de force qui la traversent. Les enseignantes apparaissent comme les principaux vecteurs d’une domination masculine à laquelle elle collaborent sans beaucoup de recul.

Les comédiens, recrutés sur place n’avaient d’expérience cinématographique que celle des séries télévisées où le sur-jeu est de règle. Très impliqués dans la réussite du film les comédiens ont su refréner leurs tendances. La réalisatrice a tourné cachée dans un camping-car avec « un retour caméra ». Il était exclu qu’elle puisse se montrer dans la rue avec une caméra. Les scènes ont été longuement répétées, à l’abri des regards puis téléguidés depuis le van. Il faut dire un mot de la formidable petite Waad Mohammed, éminemment sympathique dans le rôle de Wadjda, qu’elle tient avec une malice et une détermination sans faille. Elle apparait comme la locomotive de cette réussite.

Wadjda est un excellent film  qui ne peut qu’aviver les regrets de ne pas avoir en Martinique une salle  de cinéma digne de ce nom, en un mot une salle Art & Essai

 

Paris le 01/04/2013

Roland Sabra

(1) Du côté de chez Swann, Marcel Proust.

Wadjda

De Haïfaa Al-Mansour
Avec Waad Mohammed, Reem Abdullah, Abdullrahman al Gohani, Ahd, Sultan al Assaf, Dana Abdullilah, Rehab Ahmed et Rafa al Sanea
Genre : Drame – Nationalité : Saoudien
Durée : 1h37min – Année de production : 2012