— Par Robert Lodimus —
Le 27 février 2025, les parents, les collègues et les lecteurs de Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, alias Frankétienne, l’ont accompagné à sa dernière demeure avec une profonde tristesse. L’enfant de « Ravine-Sèche » allait célébrer sa quatre-vingt-neuvième année d’existence le 12 avril prochain, dans une capitale en lambeaux, méconnaissable, pariatisée, livrée pieds et mains liés, – comme le Fils de l’Homme à Hérode Antipas –, aux lycanthropes d’Hadès et de Perséphone, le dieu et la déesse des enfers. Franck Étienne a traversé, – pour reprendre le jargon utilisé dans le vaudouisme –, sans avoir accompli son rêve : obtenir le prix Nobel de littérature. Peut-être, entrera-t-il dans l’histoire à l’instar de l’écrivain suédois nobélisé à titre posthume en 1931, Erik Axel Karlfeldt, – quoique celui-ci l’eût refusé de son vivant en 1918 –, pour son ouvrage Cor d’Automne (Höstorn), paru pour la première fois en 1927. Car, dans bien des cas, la mort n’est pas arrivée à gommer l’opiniâtreté des « obsessions subjuguantes ». Et puis, « mieux vaut tard que trop tard !»
Et si nous vous parlions plutôt de Gary Klang…
Le train file à vive allure. Je ne suis pas à bord de l’Orient-Express. Il n’y aura pas de meurtre à l’Agatha Christie. Donc, pas d’Hercule Poirot. De Ratchett ou de Cassetti. La vie de ce dimanche est loin de toutes ces intrigues fictionnelles qui bouleversent le cerveau des lecteurs ou des cinéphiles. Le wagon que j’occupe est presque vide. Un peu à l’image de la scène ou se déroule le monologue inusité de l’auteur de « Toute terre est une prison ». Mon entourage est constitué de quelques individus au teint blafard et au regard livide qui ressemblent étonnamment à des personnages figés dans les décors clair-obscur du peintre Georges de la Tour. Prendre le métro est angoissant. Surtout lorsque l’on est soi-même originaire d’un pays où les gens pratiquaient, par peur ou par prudence, le « parler par signes » d’Anthony Phelps, pour ne pas attirer sur eux les malédictions du « dragon noiriste ». Nous évoquons cet endroit bizarre, où adultes et enfants se promenaient dans la rue, dans la maison, enfin partout, avec l’index soudé solidement sur la bouche, comme lorsque gamin, le frère Ludovic Joseph nous l’imposait dans la salle de classe. Dans le train de Montréal, les femmes, les hommes, les enfants et les personnes âgées ont appris à se taire. Se soumettre eux-mêmes aux contraintes des règles du silence… Ils évitent les croisements des regards… envahissants. Fixent le plafond ou le plancher aux couleurs monotones de l’existence humaine – celle des immigrants particulièrement – en Amérique du Nord, durant toute la traversée.
Heureusement qu’ils ont organisé cette vente signature un samedi après-midi. Car parlez-moi du dimanche, ce jour réservé au « repos » et à la « prière », et j’enrage…! Quel jour de repos pour un « misérable » qui meurt et mourra sans jamais une seule fois de sa vie connaître la fatigue douce de travailler! La déception optative de vendre sa force de travail pour un petit morceau de pain blanc! Et la douleur lancinante de se faire expulser des lieux hostiles d’emploi, dès que sa santé se fragilise et qu’il commence, comme le moteur d’un véhicule désuet, à donner des ratés qui ralentissent la production.
Depuis la révolution industrielle, les pales des entreprises de sous-traitance tournent sans arrêt. Vive Frederick Winslow Taylor pour ses idées géniales qui ont abouti au XXe siècle à l’organisation scientifique et rigoureuse du travail, au bonheur des capitalistes et à la souffrance des salariés! Vous avez probablement vu Charlie Chaplin dans Modern Times [Les Temps modernes]. Le pauvre et malheureux Charlot qui, au nom de la «sainte plus value », se fait broyer sous les engrenages robustes des machines qui fonctionnent plus vite que son cerveau confus et qui vont plus rapidement que ses bras frêles. Charlie Chaplin est submergé par les ténèbres de la mort la nuit même où le Christ jaillit à la lumière de la vie terrestre pour apporter son « salut » à l’humanité. Ce fut un 25 décembre 1977 à Vevey, en Suisse. Accusé de communiste, le cinéaste et comédien du burlesque était expulsé des États-Unis depuis le 18 septembre 1952.
Je suis installé inconfortablement dans ce train qui file vers l’ouest de l’île. J’avais décidé, à la dernière minute, d’aller écouter ces poètes et ces écrivains venus de près ou de loin, rassemblés pour la circonstance devant un public privilégié, composé de ces intellectuels petits bourgeois qui se donnent des airs de Joachim Du Bellay, Agrippa D’Aubigné, Antoine Furetière, Madame de Sévigné, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, Madame de La Fayette, Denis Diderot, Jacques Prévert, Jean Paul Sartre, Edmond Laforest, Pablo Neruda…, qui se promènent de foire du livre en vernissage de peinture, pour se faire remarquer une fois de temps en temps, au rythme des rares avènements culturels organisés au sein de la communauté léthargique.
Je me suis encore senti plus mal à l’aise, lorsque le train, à l’arrêt de Mc Gill, a ramassé – comme une pelle qui rassemble des feuilles mortes et jaunies à la fin de l’automne – quelques passagers emmitouflés dans leurs habits hivernaux, parmi lesquels un énergumène qui souffre de la maladie des pays riches : embonpoint, obésité… Un visage lunaire. Des cuisses de la rondeur d’un tronc de Mapou. Il s’écrase sur le siège en face de moi. Ses yeux grands ouverts cherchent à entretenir, nourrir, assouvir une curiosité maladive. Je redresse l’ouvrage pour lui faciliter la tâche, et de ce fait lui éviter, sans nul doute, une « nervosité d’indiscrétion » qui pouvait lui coûter une crise cardiaque. L’inconnu lève la tête avec un regard rassasié. Il vient de prendre connaissance du titre que je tiens dans mes mains et que j’ai commencé à lire depuis la station du métro Jean-Talon : MONOLOGUE POUR UNE SCÈNE VIDE ou Bienvenue au MACOUTISTAN de Gary Klang, Éditions NORD/SUD, 112 pages.
Impressions…
Gary Klang : le nom de l’écrivain, – je vous prie de pardonner ma légèreté intellectuelle –, n’occupait pas un espace prépondérant dans ma mémoire… Rien de péjoratif dans cet aveu gênant! L’homme a quand même publié une quinzaine d’ouvrages signifiants. Cependant, – sans chercher des excuses – depuis des années, les auteurs des sciences humaines et sociales comme Machiavel, Marx, Engels, Hegel, Ziegler, Perkins, Montesquieu, Rousseau, Downs, Tullock, Dahl, Sartre, Miliband, Meynaud, Mills, etc. s’empilent et se bousculent sur ma table de chevet. Ils sont tous devenus les heureux compagnons de mes nuits insomniaques. Grâce à leurs méthodes d’observation et de recherche, à leurs travaux de réflexion philosophique dans le pur schéma cartésien, je suis arrivé à descendre, à serpenter dans les entrailles de « l’impérialisme assassin » pour voir comment le système dévorant, construit avec le matériau de la « colonialité », broie ses victimes et s’engraisse.
Entre les lignes…
Monologue pour une scène vide ou Bienvenue au MACOUTISTAN est par-dessus tout, un « logiciel » de « désaliénation » politique, sociale et culturelle, c’est-à-dire un outil spirituel capable de reconfigurer la conscience des citoyennes et des citoyens qui sont victimes de la prédation mondialisée. En sortant de l’état de nature, – s’il faut considérer l’approche philosophique du contractualiste Jean-Jacques Rousseau –, l’individu n’a-t-il pas perdu la jouissance de ses droits originels? « L’homme est né libre et partout il est dans les fers », écrit l’auteur du « Contrat social ». Nous constatons effectivement que les populations de la périphérie, et même une catégorie de celles du centre, continuent d’être marinées dans la « privation » extrême. La création de l’État bourgeois demeure donc la source de tous les problèmes matériels, psychologiques et psychiatriques enregistrés sur la planète. Les êtres humains, – si on peut encore les appeler ainsi –, se laissent consumer, de manière volontaire ou pusillanime, dans une fournaise de violences multicéphales.
Le héros tourmenté de l’ouvrage suffocant de Gary Klang, Julien Freud, nomme sans hésiter les coupables qui évoluent, jouent sur tous les terrains de l’injustice. « Mal nommer les choses ajoute aux malheurs du monde », opinait Albert Camus… Mais comment freiner les avancées de la « déraison mentale » qui n’arrête pas de piller, d’assassiner, d’exploiter, de détruire… les faibles : ouvriers, paysans, étudiants, femmes monoparentales, chômeurs, itinérants, petits fonctionnaires, prostituées, commerçants détaillants, etc.?
Gary Klang, – sans qu’il le dise ouvertement –, a voulu être pour le méchant le miroir magique, savant et symbolique de Jean Cocteau qui le met en face de sa « bêtise ». Même brisé en mille morceaux, il multiplie, reproduit et lui renvoie la laideur de son âme, la vilénie de son esprit, la « sadicité » de son intelligence, le « durcissement » de son cerveau … Car faire et pratiquer le mal n’implique et ne confère aucun sentiment de gloire et de grandeur… Julien Freud est révolté d’abord contre lui-même. Il fustige sa naïveté, accuse et tripote son insouciance. Il divorce de tout : pays, parents, épouse, idéologie, religion… Tout devient à ses yeux tromperie et déception. Un cocktail amer et explosif de clochardisation et d’errance immatérielles : « Je ne veux plus me raconter d’histoires! Plus de 50 ans que ça dure, plus de 50 ans que je vis dans l’illusion et les mensonges que je me fais à moi-même. J’en ai marre. Comprenez que l’on puisse être déçu par la terre qui vous a vu naître, et que tout nationalisme est fondé sur un mensonge. » [Page 16]
Rien, ou presque rien n’échappe au mitraillage de la vision « klangienne » sur le mode de fonctionnement inégalitaire de l’univers. Tout y passe. Pour le « bien » et pour le « mal ». Les seuls personnages épargnés par l’explosion coléreuse de Gary Klang sont d’abord Madeleine, la grand’mère avenante qui a inculqué à son petit-fils le sens et les valeurs de la combativité, du courage, de l’honnêteté, de la franchise et de l’amour; ensuite, les philosophes, poètes, politiques et chefs d’État qu’il affectionne tout particulièrement pour le bleu de l’intelligence et de l’esprit que ces derniers portent dans leurs œuvres et dans leurs actes; et en dernier lieu, pour ainsi dire, lui-même qu’il projette sur cet écran géant accroché sur la scène vide d’un amphithéâtre vidé comme l’un des témoins et observateurs majeurs, importants de l’injustice flagrante faite aux petites gens exploités par la « syphilisation » occidentale – Lisez plutôt la « civilisation » – que, comme une bête ahanée, il défend à coups de voyelles, de consonnes, de signes de ponctuation… « La terreur, la misère, est lovée dans cette page que j’écris. La terreur est cachée dans les replis de la phrase qui se déplie. » [Page 53]
Ce disciple mallarméen – pour le côté de la recherche de l’esthétique – devenu aujourd’hui un retraité de l’Occident, après avoir vendu « les plus belles années de sa jeunesse » au diable de l’impérialisme européen et nord-américain – que pourtant il déteste – n’a pas cessé au début de l’hiver de sa vie de regarder évoluer le monde au travers du prisme héraclitien, celui qui permet aux intellectuels progressistes de charger les deux plateaux de la balance de Roberval, pour mesurer avec précision le poids disproportionnel des dominants par rapport à celui des dominés. C’est ainsi qu’ils sont arrivés – nous aussi, y compris l’auteur – à évaluer les coûts exorbitants de la « bêtise humaine » pour d’autres humains. À ce carrefour, notre index pointe solidement, sans hésiter, les kleptocrates du XIXe siècle qui ont inventé le concept de « race » pour «s’arianiser » par rapport au statut déshumanisant qu’ils ont octroyé eux-mêmes aux autochtones de l’Amérique, de l’Asie et de l’Afrique. « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire », disait le physicien Albert Einstein, par qui pourtant la catastrophe arriva…!
Et nous ajoutons : également par ceux qui ne disent rien… Car de ne pas parler et de ne pas agir, n’est-on pas coupable au même degré…?
Julien Freud, le personnage mystérieux de Gary Klang, ressemble quelque peu à Gérard de Nerval. Deux vies complètement lacérées par la souffrance et par une quête identitaire époustouflante. « Souhaitons que le tracé eschatologique de Nerval ne se rendra pas jusqu’à la porte de Julien Freud », me suis-je dit en poursuivant la lecture de l’ouvrage. Fort heureusement que l’auto-narrateur ne s’est pas montré intéressé au Faust de Goethe qui, semble-t-il, a porté malheur à Nerval qui s’est pendu le 26 janvier 1855, écroulé sous le poids de sa désespérance apocalyptique. La tête tragique de Nerval nous rappelle tristement « Le Désespéré » de Gustave Courbet.
En réalité, il faut dire que c’est plutôt l’esprit de Marcel Proust qui imprègne la philosophie de l’œuvre de Klang: une course effrénée pour capturer le « temps » afin de préserver intacte la « mémoire » pour les générations futures.
Quel temps? Et quelle mémoire?
Le pays imaginaire porte un nom bizarre : Macoutistan. Il est habité – jusqu’à présent, contrairement à ce que l’on pense – par des « Hell’s Creatures [1] » qui boivent le sang humain comme Christopher Lee dans les films d’horreur de Terence Fisher, réalisés dans les studios Hammer. C’est le temps ténébreux où la démence sociopolitique du « Prince of Darkness [2] » enlève, assassine sans pitié : bébés, enfants, adultes, vieillards… et emprisonne dans les culs-de-basse-fosse putrides de la cruauté impensable et de la déraison mégalomaniaque. Patrick Lemoine et Albert Chassagne nous le décrivent tellement bien, ce temps mauvais, qu’ils nous ont fait vomir d’indignation et de révolte.
« Le repas du midi arriva, encore plus immangeable que la veille. Théophile voulut manger, mais le plat lui tomba des mains. Il nous demanda en pleurant pourquoi il allait mourir si jeune. Il avait à peine vingt-deux ans. Peu après il perdit connaissance et tomba dans le coma. À l’heure du souper, il cessa de respirer.
Nous organisâmes une cérémonie, avec prières et chants, pour Théophile Victomé dont le nom venait de s’ajouter à la longue liste de ceux qui tombèrent à Fort-Dimanche, pour une Haïti meilleure. Un cadavre de plus, sur la conscience d’Emmanuel Orcel et de Breton Claude [3] ».
Un cadavre de plus… Et non le dernier… Car de 1957 à nos jours, le cercle des hécatombes s’est élargi et les portes des geôles refusent de se fermer. Le soleil du pays où s’installent arrogamment les « Frankenstein » de la terreur affreuse a conservé la froideur des fosses en terre battue creusées par les dynasties politiques et remplies d’ossements de victimes innocentes. Les accusations malveillantes sont cousues avec le fil de la hantise d’un soi-disant danger de marxisme, léninisme, maoïsme ou castrisme… provenant d’une population misérable et complètement analphabète! Le sort fait à ces malheureux paysans illettrés, ironiquement et injustement inculpés de vouloir importer les idées de Marx, Lénine, Trotski… et s’en servir comme « outil dialectique » au sens initial de Zénon d’Élée pour déclencher un mouvement de « révolution communiste » à « Macoutistan » relève d’un ridicule démoniaque… Combien sont-ils vraiment, ces pauvres planteurs que les régimes politiques de François et Jean Claude Duvalier ont torturés, humiliés, mis à mort par mégalomanie néronienne…? C’est comme s’ils auraient dévoré et conservé – Ô ironie de l’infamie! – en secret des tonnes de copies du «Manifeste du Parti communiste, Les révolutions de 1848 et le prolétariat, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Que faire?, L’État et la Révolution… Des ouvrages dont même le « lourdaud » qui a trôné de 1971 à 1986 dans le fauteuil de la présidence ne soupçonne guère l’existence, voire lire et comprendre…
Jusqu’à présent, les familles des assassinés – y compris celle de l’écrivain Jacques Stephen Alexis – cherchent les emplacements des fosses communes où le Commode Maximus de la Caraïbe a fait probablement jeter leur corps couvert de poussière, enveloppé dans leurs vêtements loqueteux et humectés de leur sang – quand leur chair n’était pas cruellement laissée en pâture aux chiens vagabonds et faméliques de la Saline – sans aucune marque de respect de la dignité humaine…
Julien Freud n’est pas un « citoyen du monde » comme Socrate. Il se déclare lui-même « apatride ». Voudrait-il renverser, de manière symbolique, les barrières de la « dictature des frontières » qui enlèvent le droit de libre circulation aux innombrables marginalisés de l’univers? L’âme de Julien Freud, prise d’une part en otage par les tristes et sombres réalités multidimensionnelles de son île natale (Haïti) et par l’attitude colonialiste d’autre part de son pays d’origine (Israël), voyage sans destination sur une mer houleuse d’ « instabilité sociale » et de « trouble dissociatif de l’identité ». L’aveu est poignant : « Balloté comme une feuille qui cherche un coin d’ombre où se poser, j’ignore où mettre les pieds. Ma névrose est en partie le résultat des échecs répétés de cette terre qui m’a vu naître… …Mais soulignons d’entrée de jeu que je ne suis pas un juif comme les autres. Ce n’est pas le passé juif qui m’intéresse mais le lieu où je suis né. J’aime Israël bien sûr, mais j’aime autant les Palestiniens… » [Page 17]
Haïti et Palestine se ressemblent étrangement. C’est comme si elles étaient nées sous la mauvaise étoile. Auraient-elles toutes les deux hérité du sort de Carthage? Comme quoi l’une serait condamnée à disparaître dans le déluge de sa « misère extrême ». Et l’autre, à sombrer regrettablement sous la pluie des drones de la « colonisation génocidaire ». Rien de tout cela, pensez-y bien, ne s’avère impossible…! Cette crainte serait même légitime et fondée … C’est pour cette raison – qui pourrait échapper à l’auteur – que la libération de la Palestine et la résurrection d’Haïti passeront inévitablement – mais combien regrettable – par le chemin douloureux qui mène aussi à la triste réalité de « l’injustice de la justice ». Ne soyons pas plus clairs!
Gary Klang nous rappelle que les grandes œuvres sont souvent accouchées dans la solitude et la douleur : « …Car si la vie me comblait, peut-être, n’écrirais-je plus », avoue-t-il. Comme François Villon, celui-ci constate que le temps a un pouvoir de destruction sur les êtres et les choses. Si, par malheur, les prisons monstrueuses de «Macoutistan » étaient parvenues à refermer ses portes sur Klang – ce qui ne serait pas du tout souhaitable pour lui, de notre part – la littérature mondiale se serait, sans là-dessus trop de doute, enrichie d’une autre version de « La Ballade des pendus. » Il serait revenu de Fort Dimanche, des Casernes Dessalines et des autres lieux de détention secrète du régime des macoutes avec un support artificiel rempli d’une phraséologie de traumatisme et d’horreur, comme c’en était le cas pour Guy Robert Joseph, un camarade de quartier, Jacques Duviella, un collègue de travail, Richard Brisson, un confrère de la presse…, alors que les bourreaux mangent, font l’amour, circulent, assistent au Te Deum, se font applaudir… et dorment en paix dans les bras des « représentants de Jésus » sur la terre. « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font! » Vive la religion…!
L’écriture de Gary Klang privilégie un sémantisme référentiel qui relativise un environnement de déprime majeure et qui lui permet du même coup de caricaturer le « temps » qui s’éternise à « Macoutistan ». Le lecteur avisé relèvera dans le récit autobiographique de Julien Freud un goût et une saveur de nervosité quelque peu provocante.
Gary Klang, avec son MONOLOGUE POUR UNE SCÈNE VIDE, ne se laisse pas désarmer. Il ne capitule point. A contrario, il espère et attend impatiemment – comme nous tous d’ailleurs – le « Temps » libérateur : « Les petits hommes éteignent les flambeaux Et font de l’ombre sur la terre Il est grand temps Grand temps vous dis-je De rallumer les étoiles » [Page 41].
Seulement, « pour rallumer les étoiles », cela implique des « sacrifices humains», comme l’a mentionné éloquemment Jacques Romain dans Les Gouverneurs de la rosée…
Robert Lodimus
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Références
[1] Créatures de l’enfer.
[2] Prince des ténèbres.
[3] Patrick Lemoine, FORT DIMANCHE, FORT-LA-MORT, Éditions fordi 9, page 139.