Par Selim Lander
De Naomi Kawase, on avait vu récemment Vers la lumière, un film qui mettait en scène des non-voyants. Voyage à Yoshino fait intervenir également une aveugle tout en creusant la veine fantastique, puisque Tomo, le personnage masculin qu’on croyait mort dans un accident de chasse un peu avant la fin, réapparaît à la toute fin. Idem pour la vieille femme aveugle qui prétendait être née 1000 ans auparavant, que l’on voit morte puis ressuscitée. Le spectateur de Voyage à Yoshino doit donc accepter de ne pas tout comprendre de ce qu’il voit. Ce qui est d’autant plus aisé, ici, que la photo est somptueuse : forêts de pins gigantesques dans des paysages vallonnés et maisons de bois perdues dans les bois, aux intérieurs chaleureux, malgré le confort minimal et le froid qui sévit dans le Japon septentrional.
Jeanne (Juliette Binoche, vedette étrangère du film), débarque chez Tomo à la recherche d’une plante magique, « Vision », capable d’abolir les souffrances des humains. La femme aveugle reconnaît Jeanne comme celle qui retrouvera la plante depuis longtemps disparue, depuis quelque mille années en fait (ce qui correspond donc à la naissance de l’aveugle). Jeanne est plus précise : d’après ses calculs (?), il s’est passé 997 ans depuis la dernière apparition de « Vision » : 997 est un nombre premier, ce qui semble commander le retour de la plante magique (?). Mais le nombre 1000 n’est pas moins important en vertu de l’équation ainsi résumée sur l’écran :
1000 d° → Vision → Pain (« Pain » = souffrance en français)
L’histoire suit son cours cahin-caha. On ne s’y intéresse guère, vu son manque de vraisemblance. On préfère admirer les paysages et le jeu de « la » Binoche, tout dans l’émotion. Spectacle émouvant également, au demeurant, pour les spectateurs français que celui de cette comédienne que l’on a connue rayonnante, désormais atteinte par les premiers stigmates de l’âge, qui n’a pas moins gardé la capacité d’étonnement qu’on lui connaissait. Les deux Japonais chargés de rôles tout aussi importants, Tomo (Masatoshi Nagase, le photographe de Vers la lumière) et la femme aveugle (Mirai Moriyama) sont également très bons. On serait donc prêt à suivre Kawase dans les méandres de son imagination fantastique si le texte dicté à Jeanne, qu’elle dit en anglais (ça va de soi, sinon comment les Japonais pourraient-ils comprendre ?) ne commençait à devenir franchement ridicule. Que dire de ceci : « La mort est probablement (sic !!!) un long sommeil » ? Ou de cela qui revient deux fois dans le film : « L’amour, c’est comme les vagues, ça ne s’arrête jamais » ? (« Si c’était vrai ! » : c’est ce que n’importe quel spectateur un tant soit peu sensé ne peut s’empêcher de penser).
A partir de là, évidemment, l’adhésion du spectateur est de moins en moins garantie…
Et puis surtout, ou hélas !, il y a la fin. Comment terminer une histoire pareille ? Nous ne nous hasarderons pas à proposer une réponse mais celle du film est particulièrement décevante. Vous avez dit 1000 degrés ? Et hop, je vous fais brûler quelques arbres. Vous avez dit « Vision » ? Et hop, je vous fais apparaître une touffe d’un végétal brunâtre semblable à celui que Jeanne a crayonné dans son cahier. Ce que la fin ne révèle pas, par contre, c’est si la souffrance de nous autres, pauvres humains, « plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre » (François Villon), a vraiment disparu. A dire vrai, le film se montre plutôt pessimiste à cet égard, la pauvre Jeanne-Binoche ayant été obligée par le scénariste de débiter un cours de psychologie élémentaire : leur cerveau reptilien condamne les humains à l’agressivité. Et l’agressivité, n’est-ce pas, n’est pas vraiment propice au bonheur, … surtout, n’est-ce pas, pour ceux qui en sont les victimes… Soit.
Tenons-en nous là. Formellement très réussi, Voyage à Yoshino séduira jusqu’au bout de ses presque deux heures les purs esthètes, ou ceux qui, ayant gardé leur âme (?) pure (?) d’enfant, ne s’embarrassent pas au cinéma des questions de vraisemblance.
À notre directeur, Roland Sabra, de présenter maintenant la défense de ce film puisque 1) la critique n’est pas une science exacte et que 2) Madinin-art se glorifie à juste titre de défendre des points de vue divergents sur les spectacles litigieux.
Deuxième projection le 18 décembre 2018.