— Par Anique Sylvestre —
Les récents événements qui troublent encore la Martinique, ont entraîné un sursaut des Martiniquais laissant pousser des prurits aux manifestations diverses : outre un conflit générationnel énoncé et manifeste-dommageable mais libérateur de soutien, chez les uns, de rejet, d’incompréhension, chez les autres, tout cela teinté de mépris voire de haine, je préfère constater une nécessité d’écrire un récit national (martiniquais s’entend) notre, propre.
Nous avons, aux époques décisives de notre histoire « post-coloniale », choisi majoritairement pour le maintien de nos relations avec la France, avec, certes, des sursauts « révolutionnaires » quelquefois, voulant entraîner le peuple martiniquais dans des revendications indépendantistes.
Notre récit national gamberge de cette volonté de sécurité de blaisance à cette velléité de séparation ; se réduisant à la seule époque de l’esclavage, seule mémoire sûre à laquelle il se réfère, il se limite dans le même temps à son unique filiation africaine donc noire, rejetant les autres apports qui ont contribué à la création de notre peuple (atteinte récente à la statue de Gandhi).
A cette unique référence africaine, se greffent des questions majeures qui se posent au pays : chlordécone, sargasses, chômage massif des jeunes, exode des jeunes …problème récurrent de l’eau…
Stop aux leçons, aux injures…
Ces événements mettent sur la table l’ensemble des problèmes de la société martiniquaise. En même temps que la violence des déboulonnages et autres actes divers, se crient de manière aussi violente des questions qui agacent notre quotidien et qui barrent la route à toute perspective d’avenir aux Martiniquais (jeunes et moins jeunes d’ailleurs ; jeunes parce qu’ils restent au bord du chemin, parce qu’ils laissent le pays pour voir ailleurs, parce qu’ils ne reviennent pas faute d’emploi sur place, laissant d’ailleurs une population vieillissante s’en aller doucement sans qu’on en prenne soin véritablement.)
Toutes questions que des autorités politiques, prises dans des chamailleries politiciennes prennent du temps à résoudre, mettant en place commission sur commissions inefficaces,arguant discours de promesses sur discours de promesses non tenues.
Qu’on ne m’accuse pas de dire que les institutions ne font rien ! Juste que beaucoup de Martiniquais ont le sentiment qu’elles ne répondent pas à leurs besoins vitaux. Peut-être qu’elles ne communiquent pas suffisamment et efficacement sur les actions qu’elles mènent ? Ou que leurs actions n’atteignent pas le public auquel elles s’adressent ?
Stop aux critiques, stop aux leçons, aux injures qui fusent de tous bords. Et penchons-nous sur toutes ces interrogations qui ne trouvent pas réponse. Les enjeux, à mon sens sont plus importants et plus urgents ! Il est temps de se mettre dans les rails d’une histoire notre, à écrire nous-mêmes , histoire faite de nos mots et de nos maux. Ensemble. Les « anciens » avec les jeunes, les jeunes avec les « anciens ». Nos mémoires, si elles ne sont pas une, sont communes et les pièces du puzzle sont à reconstituer ensemble.
Écrivons notre récit…
Des villes de France aujourd’hui abordent cette période de l’esclavage et tentent de l’insérer dans le récit national français. A nous, Martiniquais, d’entreprendre ce travail d’écriture en tenant compte des faits, des événements, récents et plus lointains, douloureux sans doute mais glorieux aussi. Ce récit national martiniquais ne peut se faire sans la participation de tout le peuple et pas uniquement des élites dont c’est aussi le rôle mais pas tout le rôle.
Dans le chaos actuel, où c’est la guerre de tous contre tous, alors que les institutions, les politiques, les fonctionnaires, les parents, les élites sont décriés, qui peut assurer la fonction de régulation des contradictions de notre société ? Dans l’éventail politique actuel, force est de remarquer l’absence d’une proposition communiste car l’état actuel de ce parti ne laisse espérer aucun solutionnement crédible. La prise en compte globale des revendications des diverses composantes du peuple martiniquais mériterait que de nouveaux organismes de la société civile oeuvrent, en pleine entente, en pleine cohésion, dans un esprit de fraternitéde sororité- pour une formulation claire des problématiques, des solutions, des actions, bref d’un projet viable pour ce pays. Les idées, les réflexions fusent n’en déplaise à ceux qui trouvent que tout le monde se révèle historien comme tout le monde est artiste chez nous ! La démocratie s’exprime dirais-je plutôt ; elle s’accompagne souvent d’une trivialité effarante, mais elle dénote cependant les ressentis ou les sentiments des uns et des autres ! S’il faut regretter cette propension que nous avons à critiquer, donner des leçons, à nous injurier, on peut toutefois saluer le fait que nombreux se sentent concernés. Et que les débats publics sont suivis par de nombreux Martiniquais.
Des propositions naissent, s’affirment, se confirment, certaines sont teintées de proposition « d’inverser le rapport avec la France » de façon toute singulière. Tout en approuvant les déboulonnages ! C’est que les choses ne sont pas simples.
Mais peut-on être simple quand on semble ne garder dans sa mémoire et dans sa chair que les stigmates de l’esclavage ? quand il n’y a pas de mémoire partagée ? quand le récit national veut s’écrire sans rassembler les pièces d’une mémoire morcelée et sans vouloir même les partager pour l’écrire ensemble ?
Anique Sylvestre