Vision orwellienne

— Par François Taillandier —
pub_cibleUn texte de l’écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger, intitulé le Terrorisme publicitaire, a été récemment publié par le Monde (1). Il s’agit d’un large panorama qui commence avec la bonne vieille « réclame » d’antan (née au cours du XIXe siècle) et s’achève avec les stratégies publicitaires les plus invisibles et les plus affûtées de l’Internet et des réseaux sociaux. Ce n’est pas une simple tribune, c’est un texte magnifique, une vision orwellienne. Je citerai quelques lignes qui me semblent cerner de façon décisive l’empire de la pub : « Ce que cela implique comme conséquences politiques et sociopsychologiques n’a été jusqu’à présent qu’insuffisamment exploré. Une armée d’universitaires-consultants, de sociologues et de spécialistes en études de marché, qui se mit au service des industries concernées, s’est chargée de ne pas le faire. Dans une économie de la captation de l’attention, il ne doit qu’en tout dernier lieu être question d’élucider le monde dans lequel on vit. » Ce qui est important est l’affirmation « s’est chargée de ne pas le faire ». La méconnaissance confiée aux experts… et confortablement rémunérée !

Enzensberger explore ensuite le développement du publicitaire-consommatoire jusqu’à sa fusion avec les puissances du Net – les puissances concrètes nommées Google, Yahoo!, Facebook (dont l’inventeur n’hésite pas à affirmer que « l’époque de la sphère privée est terminée »). Puis il met en relation le commercial avec le politique (et les affaires d’espionnage américain qui ont provoqué un vif émoi ces temps-ci). « Qui détient les manettes ? » demande-t-il. Réponse : ceux qui maîtrisent les « données ». Le génie du système étant que les données, c’est nous qui les donnons, chaque fois que nous utilisons notre mobile, écrivons un courriel, « postons un statut » sur un réseau social ou commandons par le Net nos achats au supermarché.

Je suppose que ce texte doit être en 
ligne (!) sur le site du Monde, et je voudrais qu’il soit lu et médité. Si cette chronique sert à cela, ce sera déjà bien. J’en citerai un ultime extrait : « Il est difficile de comprendre quelle longanimité permet à l’humanité de tolérer ces abus. »

P.-S. : « Lorsque vous écrivez SEUL ce que vous signez, c’est en général plus intéressant », m’écrit un correspondant à propos des 343. Je ne retire rien mais j’en prends acte, je trouve cette remarque plutôt flatteuse…

(1) 27-28 octobre, traduit par Frédéric Joly.

François Taillandier

http://www.humanite.fr/culture/vision-orwellienne-552680