— Par Sabrina Solar —
Le rapport de la commission d’enquête sur les violences dans les milieux artistiques, publié le 9 avril 2025, met en lumière une réalité accablante : des abus systématiques et persistants au sein des secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Cette enquête, présidée par Sandrine Rousseau, a permis de recueillir de nombreux témoignages et d’analyser les mécanismes profonds qui permettent à ces violences de perdurer. Le rapport final, rédigé par Erwan Balanant, dresse un état des lieux alarmant et propose 86 recommandations destinées à changer en profondeur ce milieu longtemps marqué par l’omerta et l’impunité.
Une culture de la violence systématique et une omerta persistante
L’enquête a mis en évidence un phénomène généralisé de violences sexistes et sexuelles, ainsi que de harcèlements, qui s’enracinent dans une culture patriarcale et sexiste propre au monde de la création artistique. Plusieurs témoignages ont fait état de violences infligées principalement aux femmes et aux enfants, souvent dans un contexte de précarité et de hiérarchie rigide. Parmi les témoignages les plus bouleversants, celui de l’actrice Nina Meurisse a illustré l’omniprésence de l’agression dans un milieu où la jeunesse et la vulnérabilité sont particulièrement exposées.
Les auditions ont révélé un véritable climat de peur, d’isolement et de soumission, où les victimes, souvent jeunes et fragiles, se retrouvent dans l’incapacité de dénoncer les violences qu’elles subissent. La commission a ainsi observé que la « loi du silence » régit ces milieux, et que les dénonciations sont trop rares en raison des menaces de représailles et des pressions exercées par des systèmes de pouvoir fermés et autoritaires.
Des recommandations pour une réforme en profondeur
Face à cette situation, le rapport propose des mesures concrètes pour lutter contre ces violences et améliorer la protection des victimes. Parmi les recommandations majeures, on retrouve la nécessité d’encadrer plus strictement les castings, notamment en imposant leur organisation dans des locaux professionnels et pendant les heures ouvrables, et en interdisant les scènes d’intimité sans la présence d’un coordinateur d’intimité. Les castings, souvent menés dans des conditions précaires et mal contrôlées, constituent en effet un terrain propice aux abus, surtout envers les plus jeunes et les débutants.
Le rapport recommande également de renforcer la protection des mineurs, en exigeant la présence d’un responsable légal tout au long du processus de création, du casting à la promotion. Il propose aussi d’étendre le cadre juridique pour inclure les mineurs de 16 à 18 ans, en interdisant les représentations sexualisées des mineurs, comme les photographies de mode ou les scènes à caractère érotique.
L’urgence de la sensibilisation et de la prévention
L’un des axes essentiels du rapport est la formation et la sensibilisation des professionnels du secteur. Le rapport propose de professionnaliser les fonctions de référents en matière de violences sexistes et sexuelles (VHSS), de les mieux rémunérer et de les rendre responsables de la rédaction d’un rapport de fin de tournage. De plus, il recommande d’augmenter les moyens de l’inspection du travail et des comités d’hygiène et de sécurité pour garantir un suivi rigoureux des conditions de travail sur les plateaux.
Un cadre judiciaire à revoir
Le rapport plaide aussi pour une révision du cadre judiciaire en matière de violences sexuelles dans le milieu professionnel. Il recommande notamment l’ouverture du débat sur la prescription glissante des crimes sexuels, permettant aux victimes majeures de porter plainte au-delà des délais habituels. Cela vise à surmonter les difficultés rencontrées par les victimes qui, par peur des conséquences professionnelles, n’osent souvent dénoncer les abus que bien des années après les faits.
Enfin, la commission préconise de conditionner les aides publiques à des critères de parité et de diversité, une démarche nécessaire pour garantir un environnement plus équitable et inclusif, à l’image des efforts menés dans d’autres secteurs culturels.
Une première étape cruciale
Si ces 86 recommandations constituent une avancée significative pour l’assainissement des milieux artistiques, elles ne sont que la première étape d’un travail législatif plus large. Le rapport appelle à la création d’une proposition de loi claire et cohérente pour traduire ces recommandations dans le droit, et met en garde contre la tentation de fermer les yeux face à ces abus. Erwan Balanant résume l’enjeu : « Fermer les yeux revient à être complice. »
Ce rapport, fruit de plusieurs mois d’enquête et de témoignages poignants, marque un tournant dans la lutte contre les violences dans le monde de la culture. Mais il souligne également que la route est encore longue et que la transformation de ce secteur passera par une vigilance collective et une volonté politique ferme pour garantir la sécurité et la dignité de tous les acteurs artistiques.