— Par Marie-Laurence Delor —
Je veux d’abord saluer la volonté commune affichée de nos députés et sénateurs (cf. déclaration commune du 29 juillet 2019 à l’initiative du Maire de Fort-de-France) – qui nous a tant fait défaut sur d’autres dossiers cruciaux – de ne parler que d’une seule voix face au fléau de la violence qui endeuille tant de familles et les plonge dans la détresse. Si l’exigence d’une « solution globale », au delà de l’urgence, fortement exprimée par nos parlementaires dans leur déclaration commune est une position à laquelle on ne peut que souscrire, elle se trouve, malheureusement, quelque peu biaisée par une posture qui me semble équivoque, puisqu’on à l’air de s’en remettre complètement à Paris, et par une tonalité sécuritaire dominante. C’est là, on peut le présumer, la marque d’une absence de stratégie territoriale localement et collectivement pensée, l’aveu d’une impuissance à influer sur le cours des choses. C’est sans doute cela, qui associé à sa propre inertie, explique que la société civile martiniquaise est encore dubitative, d’autant que « le mal » continue à progresser…
Il faut, j’en suis absolument convaincue, engager le débat de fond pour lever toutes les hypothèques. Surtout que, d’une part, le fait est notoire, l’État est en échec face à la violence (banlieues, « black blocs »), d’autre part, l’actuelle présidence a capitulé en abandonnant « le plan Borloo » pour se cantonner à une politique sécuritaire à courte vue et à moyens cosmétiques.C’est dire non seulement qu’il y a dans ce contexte une marge pour penser et agir ensemble localement pour nos propres intérêts, mais aussi et fondamentalement qu’il nous faut d’abord compter sur nous même. Cela ne signifie nullement que nous devrions dédaigner les aides auxquelles nous avons droit. Ce texte, respectueux particulièrement de ceux qui sur le terrain (médiateurs, éducateurs, assistantes sociales, policiers…) n’ont jamais lâché prise malgré l’insuffisance des moyens, se veut une contribution dans cette perspective. La question posée est plus que jamais celle de l’intelligence collective martiniquaise. Elle a été, de fait, éludée par les uns et les autres et cela ne date pas de la déclaration commune.
Lire aussi : Parentalité : et si on les éduquait…au lieu de chercher à les dresser… ! — Par Gracienne Laurence —
Pour amorcer des échanges que je voudrais être le plus large que possible, je soumets à la discussion publique la préconisation suivante qui, je le crois, pourrait être un préalable à une démarche d’élaboration de la solution globale, et donc durable, à laquelle nous aspirons tous: 1/ revenir au « fait premier », c’est à dire, à mon sens, à l’évènement dont le rendement explicatif est le plus élevé: « la crise de la parentalité» 2/ partir sur le plan opérationnel, pour des raisons d’économie et d’efficacité, d’un « déjà là », d’un existant, qui offre l’avantage d’un recul réflexif et d’un champ d’extension suffisamment large: « l’aide à la parentalité » 3/ clarifier le cadre conceptuel de résolution du problème.
1. La « crise de la parentalité »
La « crise de la parentalité » est sans doute un des faits majeurs de ces deux dernières décennies en Martinique. Le phénomène observé depuis plus longtemps dans l’hexagone a retenu l’attention des spécialistes notamment à partir les années 1990. Le problème est que dans ce cas, comme dans d’autres tout aussi déterminants pour l’avenir de notre communauté – le recul démographique et le vieillissement de la population, les intellectuels et les politiques martiniquais n’ont pas vraiment accordé l’intérêt qu’il convenait et n’ont donc pas anticipé. Or, comme l’indiquent les études menées particulièrement en France et qui font autorité (1), la difficulté d’exercice de la fonction de parent, ce à quoi réfère l’expression de « crise de la parentalité », est fortement corrélée aux conduites à risque, aux incivilités, aux addictions, à la délinquance juvénile et à l’escalade de la violence. L’institution de la famille serait donc, d’une certaine manière, au centre de la problématique de la violence et des déviances juvéniles. C’est ce constat qui conduira, suite à ses propres investigations, la Commission prévention du Groupe d’études parlementaire sur la sécurité intérieure (Rapport BENISTI, juillet 2005), à souligner l’importance de la période de la petite enfance (1-3 ans) dans le domaine de la prévention de la délinquance et l’obligation de « soutien à la parentalité ».
2/ Le « soutien à la parentalité »
Le « soutien à la parentalité » peut être défini de différentes manières: selon la période envisagée ou le point de vue adopté. Il désigne dans une assertion large l’ensemble des interventions publiques et associatives en direction des familles pour pourvoir à l’éducation et à tous les besoins des enfants (affectif, scolaire, économique…). Le « soutien à la parentalité » se trouve ainsi placé au croisement d’interventions multiples relevant de plusieurs domaines (socio-économique, éducatif, judiciaire…). Il institue, de la sorte, un espace possible pour asseoir une politique résolue pour contenir et endiguer l’escaladede la violence et délimite un périmètre approprié pour agir efficacement.
Les dispositifs de « soutien à la parentalité » sont nombreux et variés en Martinique, pas moins de 7 pour la CAF, 3 ou 4 pour Le Secours Catholique auxquels il faut ajouter les réseaux d’écoute et de parole d’un certain nombre d’associations ainsi que les actions sociales des collectivités locales. Nous sommes en définitive, depuis longtemps, parti-prenante et donc comptables non seulement des échecs et insuffisances mais aussi et surtout de l’avenir.
3/ Le cadre conceptuel
Si le « soutien à la parenté », tel qu’explicité précédemment, institue un espace pour une politique, un périmètre pour des actions, l’un et l’autre restent encore fragmentés; chaque acteur étant relativement isolé dans son champ d’intervention. Le processus d’institutionnalisation demeure donc inachevé faute d’une implication subjective où chaque entité publique ou associative devient un sujet qui s’inscrit dans un ensemble qui donne un supplément de sens à son action. Il est par conséquent indispensable, pour ne pas en rester au virtuel, de construire de la cohérence, c’est à dire en premier lieu, un cadre partagé de référence par l’évaluation et la confrontation des expériences. Trois questions, objets de controverse encore aujourd’hui, devraient être en priorité clarifiées et tranchées même provisoirement. La première est celle de la relation aux parents: faut-il se substituer à eux ou les accompagner? La deuxième est celle de la part et de l’articulation du sécuritaire et de l’action sociale. La troisième est celle de la norme: faut-il purement et simplement l’imposer ou la construire avec la famille et selon quelle modalité? Ces questions mettent en jeu des conceptions (par exemple sur la finalité des interventions) et des représentations (par exemple celle du « parent démissionnaire ») qui, on peut le supposer, sont loin d’être convergentes entre les différents acteurs institutionnels et entre les agents ou bénévoles de terrain même lorsqu’ils appartiennent à la même structure. Elles ouvrent aussi des pistes de réflexion singulièrement sur les conditions d’exercice aujourd’hui et dans notre pays de la fonction de parent.
(1) Voir L’enfant en pouponnière et ses parents: conditions et propositions pour une étape constructive, 1997, Ministère de l’emploi et de la solidarité, Direction de l’Action sociale et aussi Didier HOUZEL, 1999, Les enjeux de la parentalité, édit.Erès.