— Par George Huygues des Étages, psychologue et auteure d’ouvrages éducatifs —
Ci-après, quelques extraits de mon livre « A l’écoute de la Martinique » qui, sans vouloir ni cautionner ni exonérer, peuvent apporter des pistes d’explications aux comportements délictueux de certains jeunes adultes à l’encontre des gendarmes, de la police et même des pompiers, corps de métiers à leurs yeux disqualifiés (« bavures policières », »justice considérée comme injuste ») qui représentent confusément pour eux un Etat, des lois, un ordre, un système (responsables de l’esclavage, du colonialisme, de la gestion néo-coloniale, des « magouilles », du « deux poids deux mesures » et du « filon »-copinage selon eux institutionnalisés, de la « crise »et de leur précarité) qu’ils récusent et contre lesquels ils se rebellent de façon certes maladroite car n’ont à leur disposition ni éducation, ni instruction, ni formation politique, ni projet collectif mobilisateur leur laissant entrevoir une amélioration de leur situation.
« La genèse de la violence des jeunes se trouve peut-être dans cette lucidité nouvelle (et douloureuse dans son impuissance à influer sur la réalité) de cette génération, largement informée par les media des « affaires », des abus et exactions commis par certains adultes détenteurs du pouvoir, de l’autorité, de la notoriété. Les jeunes rejettent cette morale qui est transgressée par ceux mêmes qui la professent : ils refusent de respecter les règles d’un jeu dont ils savent que les dés sont à l’avance pipés, d être comme leurs parents, exploités, dominés, spoliés, bernés, des « laissés pour compte » , des « damnés de la terre », des oubliés sur les chemins d’une histoire déjà falsifiée. Ils n’aperçoivent aucune lueur d’espoir dans ces sociétés modernes sans amour ni scrupules, ou règnent la cupidité, le vice et la « malpwopté », où comme leur tonton DAVID le leur martèle : « j’en suis sûr, on nous prend pour des cons ». Ils croient trouver dans l’exemple de la réussite de certains aînés hors-la-loi, la clé qui changera leur destin. Et, en vérité, quelle alternative leur propose-t-on ? Quelle compensation à leur bonne tenue, quelles récompenses pour leurs mérites ? Avec l’impétuosité de leur âge, ils répondent de façon, certes inadaptée, à l’injustice, supposée ou vécue, par la violence contre les autres ou contre soi que la drogue « aide » à évacuer dans les passages à l’acte ou l’oubli. Il faut ajouter à ceci la corrélation entre agressivité de l’enfant, délinquance du jeune et pauvreté linguistique : celui qui ne peut s’exprimer verbalement substitue l’agir au dire et nous savons les difficultés langagières qui sévissent ici et le fort taux d’échec à l’école « (…)
Et quel espace est réellement laissé à l’expression de ces jeunes en particulier dans les media? En dehors de certains professionnels des relations humaines, que savent vraiment les adultes (et d’abord les parents, eux-mêmes préoccupés par leur propre existence et pas toujours informés de leur influence sur leurs enfants) des aspirations, des frustrations, de la souffrance et—de la rage, de cette tranche d’âge de la population ? Et, si d’aventure, la parole leur est donnée, quel cas est fait de leurs propos, quelle prise en compte ?
‘La responsabilité des media est énorme dans la vision que la population et plus particulièrement les jeunes (encore plus malléables et influençables que les adultes) ont par exemple de la violence dans notre pays. Ces media, écoutés tant par les parents (qui devraient, normalement, gérer leur utilisation pour leurs enfants) que par les adolescents (qui choisissent les émissions selon l’éducation qu’ils ont reçue et les habitudes prises) représentent en effet, sciemment ou pas, de façon anodine ou pas, des caisses de résonance qui répercutent (et valorisent quelque part tels qu’ils sont rapportés) les comportements délictueux des exclus du système (familial, scolaire, social) : ceux-ci trouvent enfin une occasion d’être en quelque sorte reconnus, « à la une » d’une actualité qui dérange mais interpelle, d’accéder en vedettes sous les feux des projecteurs à une scène publique et de faire l’objet d’une certaine célébrité – même éphémère – à l’image de ces cancres qui, faute de pouvoir briller par leurs bonnes notes, attirent sur eux l’attention par leur agitation, leur insolence, leur agressivité sans lesquelles ils demeureraient anonymes, transparents. Le climat de psychose et le sentiment d’insécurité (savamment ?) instaurés ne manquent pas de bénéficier à cette presse elle-même qui s’alimente de ces faits divers dont sont friands lecteurs et auditeurs mais également à tous ces vendeurs de grilles et volets de protection, de chiens « méchants », d’armes, de téléphones portables proposés pour protéger, pour rapprocher mais dont l’acquisition vient secondairement flatter l’orgueil et le désir de paraître et d’ostentation des nantis…et titiller la convoitise des autres, ceux qui voudront s’en approprier par tous les moyens pour eux aussi « frimer ». C’est ainsi également que sous prétexte de traiter de politique, loin d’apaiser et d’expliquer des divergences qui souvent ne signifient pas conflits ni oppositions, les media mettent l’huile sur le feu. Leurs interprétations de la vie politique ne peuvent que conforter sinon provoquer dénigrement, dégoût, désintérêt et donc abstentions lors des votes, ce qui ne fait pas avancer la démocratie. Plutôt que d’exploiter ces évènements sous cet angle, les media devraient prendre à coeur leur rôle déterminant d’éducation et de « médiation » précisément, dans ce pays pseudo-développé à la dérive, au niveau du choix de l’information et de la forme à lui donner, désamorcer l’agressivité et la compétition malsaine et en revanche valoriser la compassion, la générosité, la solidarité, toutes valeurs pour nous traditionnelles et qui demeurent à fleur de peau… mais malheureusement publicité (audimat et financement) fait loi. » En résumé, ces comportements déviants des jeunes mettent en cause la faillite du système éducatif : famille, école, institutions religieuses qui n’arrivent plus à assumer leur rôle d’adaptation à une société elle-même en crise de morale, de justice sociale et de civisme. Ils doivent être compris comme des réactions de détresse et des appels à l’aide, s inscrivent dans un fonctionnement global de la société et réclament des réponses certes socio-économiques mais surtout culturelles et politiques.(…) Il faudrait agir vite avant que ne s’installent inéluctablement (et durablement) la défiance vis-à-vis des institutions et des élus, la désespérance, la fuite dans le suicide, dans les paradis artificiels ou l’imaginaire (drogue, délires et maladies mentales graves), l’escalade vers la vraie délinquance et la folie meurtrière (dont l’exemple est donné dans les films à succès et le conditionnement littéralement imposé par le matraquage de la télévision, des jeux vidéo et du net).