Vini Vann, la boutique de Manzèl Yvonne : Un voyage au cœur de la Martinique des années 60

Samedi 7 décembre de 19h à 21h au Teyat Otonom Mawon (TOM), m.e.s. Elie Pennont

Dans le récit Vini Vann, la boutique de Manzèl Yvonne, Arlette Pujar nous offre une immersion émouvante dans la Martinique des années 60, une époque où les changements sociaux étaient encore balbutiants, et où la modernité peinait à pénétrer l’île. À travers les yeux d’Anita, une jeune Martiniquaise qui vit à Marseille avec sa famille, le roman retrace une époque où l’identité, les valeurs de solidarité et le lien social étaient vécus au quotidien, notamment à travers les petites boutiques de quartier, telles que celle de sa grand-mère, Manzèl Yvonne.

Une époque, une boutique, un lien social

Le roman se déroule principalement aux Terres-Sainville, un quartier populaire de la Martinique où la boutique de Manzèl Yvonne est un véritable centre de la vie communautaire. À cette époque, ces débits de la régie, comme les appelait l’auteur, étaient les lieux où l’on échangeait plus que des marchandises : c’était aussi là que se tissaient des liens sociaux profonds. « Vini vann ! » – l’invitation sonore des clients annonçant leur arrivée – devient le symbole d’un monde révolu, où la simplicité et la solidarité faisaient le quotidien des habitants.

Arlette Pujar, à travers cette écriture autobiographique et pleine de tendresse, se plonge dans les souvenirs de son enfance et ceux de sa jeune héroïne Anita. Elle retrace avec une grande sensibilité l’histoire de cette petite fille, partagée entre deux mondes : celui de la Martinique, qu’elle retrouve à chaque congé scolaire, et celui de la France, où elle vit avec sa famille. Mais c’est dans la chaleur et l’humilité de la boutique de Manzèl Yvonne qu’elle trouve son véritable ancrage, entre les senteurs des fruits, les parfums des fleurs et l’odeur inoubliable du riz au colombo que sa grand-mère prépare pour ses clients.

Une époque de simplicité et de complicité

Le lien entre Anita et sa grand-mère est plus qu’une simple relation familiale, il est celui d’une complicité profonde. Anita décrit, avec émerveillement, ces moments simples et précieux passés aux côtés de Manzèl Yvonne, dont la boutique est un havre de paix et un véritable microcosme de la société martiniquaise de l’époque. Les valeurs que lui transmet sa grand-mère – respect, solidarité, amour de la famille – sont aussi des valeurs qui vont façonner l’écriture d’Arlette Pujar et la vision qu’elle porte sur l’évolution de sa terre natale.

Dans ce roman, la boutique devient un personnage à part entière, un lieu d’échanges, de rires et de confidences, mais aussi un lieu de mémoire. Arlette Pujar nous invite à revisiter un monde où l’oralité était au cœur des relations humaines, et où des pratiques telles que le carnet de crédit permettaient de faire face à la précarité quotidienne. Un monde où la modernité semblait encore lointaine, et où la solidarité collective était le seul rempart contre les difficultés.

De l’amour de la terre natale à la quête d’identité

À travers Anita, c’est un véritable hommage à la Martinique d’antan qu’Arlette Pujar rend. L’île, ses paysages, ses odeurs et ses saveurs, tout en elle exhale une beauté unique, et l’amour que l’auteur porte à sa terre natale est palpable. Ce roman, écrit avec la simplicité et la spontanéité d’une plume qui s’adresse directement au cœur du lecteur, est un véritable hymne à l’amour de la famille, de l’île, et des racines. Ce retour aux sources que vit Anita, au travers des vacances passées dans son pays d’origine, devient un voyage initiatique qui la prépare à mieux comprendre la richesse et la complexité de son identité martiniquaise.

Ce retour aux racines se fait aussi à travers l’évolution de la Martinique, un territoire en pleine mutation. De la période des premières traversées en bateau entre la France et la Martinique, à la modernisation accélérée des années 70, le roman d’Arlette Pujar nous fait prendre conscience des ruptures qui ont marqué l’histoire de l’île, du carnet de crédit à la carte de crédit, du respect traditionnel au consumérisme. Dans ce contexte de changements rapides, la boutique de Manzèl Yvonne reste un repère, un lien tangible avec le passé, un témoignage vivant d’une époque révolue.

Une œuvre de transmission et de mémoire

Au-delà de la simple évocation d’un passé nostalgique, Vini Vann, la boutique de Manzèl Yvonne est avant tout une œuvre de transmission. Arlette Pujar, en tant que « marqueuse de mémoires », entend jeter un pont entre les générations et offrir aux plus jeunes une porte d’entrée vers un passé qu’ils ne connaissent pas, mais qui a façonné l’identité martiniquaise telle qu’ils la vivent aujourd’hui. Les valeurs portées par les femmes comme Manzèl Yvonne, ces femmes « poto mitan » de la société martiniquaise, sont au cœur de ce processus de transmission. Elles ont contribué à l’édification d’une société, à la construction de notre imaginaire collectif, et sont, à bien des égards, les véritables piliers de l’île.

À travers ce roman, Arlette Pujar nous invite à regarder notre histoire avec un regard neuf, à nous interroger sur ce qui nous définit et à réfléchir à ce que nous avons perdu, ou oublié, dans la quête effrénée de la modernité. Vini Vann est un hommage à l’héritage culturel martiniquais, et une invitation à l’introspection, pour mieux comprendre notre présent et notre identité.

Amour, mémoire et identités croisées

Avec ce premier roman autobiographique, Arlette Pujar nous fait revivre une époque où les valeurs humaines primaient sur tout, et où la solidarité, la famille, et la simplicité étaient au cœur de la vie quotidienne. À travers le regard d’Anita, ce voyage dans le temps nous permet de redécouvrir une Martinique authentique, et de mesurer les profondes transformations sociales qui l’ont façonnée. C’est un roman d’amour, de mémoire et d’identités croisées, qui séduira aussi bien les générations passées que celles à venir.

Hélène Lemoine

Vini vann!
la boutique de Manzel Yvonne : récit
Par Arlette Pujar · 2015
ISBN :9782918141525, 2918141526
Nombre de pages :286
Publication :2015
Éditeur :K. Éditions
Langue :Français
Auteur :Arlette Pujar