La dangerosité du pesticide est connue depuis les années 1970. Mais la France a permis qu’il sévisse encore deux décennies aux Antilles. Les effets vont perdurer sur des générations.
Il a été utilisé en masse contre le charançon, un insecte qui ravage les bananiers en même temps que les profits des grands planteurs. Le chlordécone est un pesticide organochloré, toxique et persistant. Retiré de la vente en 1990 en France, il a continué à être autorisé par les pouvoirs publics, à titre dérogatoire, pour les grands planteurs de Martinique et de Guadeloupe, les békés, descendants directs des grandes familles d’esclavagistes. De 1972 à 1993, on estime que 300 tonnes ont été déversées sur les sols antillais. Alors même que la molécule est interdite aux États-Unis en 1975 et qu’en 1979, le Centre international de recherche sur le cancer, une agence de l’Organisation mondiale de la santé, le considère comme « cancérogène possible ». Le bilan humain et écologique est désastreux : 91 % de la population antillaise est touchée et 25 % des terres sont contaminées. Si la substance n’est plus utilisée depuis 1993, elle provoque des maladies sur plusieurs générations : cancers de la prostate, du sein et des ovaires, réduction de la fertilité, prématurité des nourrissons, retard de développement moteur et cognitif chez les enfants, endométrioses sévères et de nombreuses autres pathologies cardiaques et dermatologiques.
Tout aussi gravissimes sont les effets sur les plans écologique et économique. « Le poison continue de polluer pour des décennies et même des centaines d’années les écosystèmes antillais », explique Malcom Ferdinand, chercheur au CNRS, auteur de l’ouvrage Une écologie décoloniale (Seuil). Il a provoqué, ajoute le chercheur, « une catastrophe économique et sociale dont on parle peu : une perte de revenus considérable en raison de la perte d’exploitations agricoles et de zones de pêche, désormais interdites, ainsi que la mise en péril de méthodes de culture et d’une alimentation traditionnelle ».
Des plaintes sont déposées depuis 2005, à l’appui de preuves scientifiques, dont le rapport des professeurs Luc Multigner et Pascal Blanchet publié en 2010 dans le Journal of Clinical Oncology. À ce jour, aucune réponse, déplore Naema Rainette-Dubo du collectif Zéro chlordécone-Objectif zéro poison, « aucune démarche d’ordre pénal et/ou financier n’est entamée en réparation du préjudice subi par les populations ». Ce n’est qu’en octobre 2019 suite à la commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone que la France reconnaît, pour la première fois, comme « certaine et engagée » sa responsabilité. Depuis, toujours rien, poursuit Naema Rainette-Dubo, « pas l’ombre du début d’une enquête ou d’une audition et toujours l’impunité ». L. M.
Éditorial de Latifa Madani dans le journal L’Humanité du Mardi 8 Septembre 2020
Pwofitasyon !
Vous demandiez justice ? Eh bien, comparaissez devant elle ! On pourrait écrire l’histoire des militants anti-chlordécone de Martinique et de Guadeloupe à la façon d’un Jean de La Fontaine désabusé. Mais il faut sans doute d’abord clarifier le terrain : rien à voir avec la chloroquine, qui nous a occupés une bonne partie de l’année. Non, le chlordécone est un insecticide utilisé contre le charançon du bananier qui fut répandu dans les plantations des Antilles entre 1972 (autorisation accordée par le ministre de l’Agriculture de l’époque, un certain Jacques Chirac) et 1993, alors que les États-Unis l’avaient interdit dès 1976. Mais le mal du produit a continué à infuser les terres… et les corps. À titre d’exemple assez édifiant, les Antilles affichent des taux de cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
Cela fait désormais quinze ans que des plaintes sont déposées contre des personnes et entreprises accusées d’être responsable de ces empoisonnements. Sans suite. Des auditions tout à fait officielles ont lieu et un ministre de l’Agriculture (Didier Guillaume, en l’occurrence) a même évoqué de possibles réparations. 2020 arriva et personne ne vit toujours rien venir. Un collectif contre l’impunité se créa. Des actions se décidèrent. La police intervint et la justice condamna, dans une sorte de fable répétitive d’une ancestrale domination sociale et coloniale. Mais, des deux côtes de l’Atlantique – sur le sol de la même République –, la réponse du bâton à ceux qui demandent justice ne produit manifestement pas l’effet escompté : l’abandon de la demande de justice.
Il y a un peu plus d’une décennie, un mouvement social inédit s’était levé et avait résumé un système par un mot, qu’il est nécessaire de convoquer de nouveau : la « pwofitasyon. » Pour son profit, une caste, a semé la mort et la désolation (malheureusement, les mots ne sont pas trop forts), refuse d’en payer les conséquences, à l’ombre de l’inaction des gouvernements successifs. Un séparatisme que ne saurait tolérer la République !
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