— Par Michèle Bigot —
« Tremblez les sorcières reviennent! » criait un mot d’ordre féministe des sixties. Tremblez encore aujourd’hui car les sorcières jouent les Cassandre. Elles prédisent le grand effondrement. C’est ce que la vieille de Thérèse Bosc nous annonce, ou plutôt ce qu’elle mime. Car sa vieille n’est plus seulement une sorcière, ni une bacchante prise de boisson, ni une folle en délire, elle est la Terre. Au début du rituel suscité par la représentation théâtrale, la vieille éméchée se prend pour la Terre et en fin de cérémonie elle est indubitablement la Terre.
Elle vient cueillir le groupe des spectateurs et les entraîne sur l’espace scénique en un cortège qui tient de la procession. Péniblement, à grand renfort de haltes réparatrices, la vieille arrive sur scène en claudicant . Tandis que s’installent les spectateurs, elle trace au sol un cercle , espace sacré où se déroule toute cérémonie, puis elle vient s’installer au centre du cercle, perchée sur un trépied, à l’instar d’une Pythie ou d’une Sybille portée à éructer des paroles oraculaires. Ici s’engage un monologue ou plutôt une longue tirade adressée aux autres planètes sœurs de la Terre, avec qui notre vieille entre en communication directe, moyennant quelques petits coups de gnôle qu’elle s’envoie à leur santé. Elle les apostrophe, elle les invoque pour leur raconter les misères qu’elle-même endure de la part des humains. Par une habile métaphore qui fait des peuples une sorte de méchant virus, la planète bleue se plaint des fièvres dont ils sont responsables et qui lui occasionnent toutes sortes de prurits, irritations, impétigos et autres infections éruptives. Et de se démanger, d’arracher ses croutes terrestres, de se tordre sous la morsure des démangeaisons. Cette maudite espèce humaine ira même jusqu’à surexploiter le grand corps malade de la Terre qui n’en peut mais et se laisse quelque temps berner par de prétendues fertilisations qui ne font en réalité qu’aggraver son mal. Jusqu’où cela ira-t-il? comment prend fin une si lamentable histoire? Faudra-t-il que la Terre s’effondre véritablement pour enfin se débarrasser des peuples et renaître dans l’univers pour reprendre sa course dans le firmament?
Tel est le texte écrit et soutenu sur scène par Thérèse Bosc. Le plus étonnant, c’est que pour triste que soit cette histoire, on prend un grand plaisir à sa représentation, à l’instar des enfants fascinés par le méchant loup. Parce que cette histoire est poétique, que le texte sait être lyrique sans être grandiloquent. Parce que cette vieille femme prise de délire bacchique, c’est aussi chacun de nous dans ses rêves les plus démoniaques. C’est encore parce que la drôlerie de l’évocation en souligne la profonde justesse. En un mot, la vieille est sympathique et émouvante. Elle est magnifiquement interprétée par une comédienne qui possède un métier certain, avec une voix qui peut tonitruer ou murmurer, un corps qui se plie à toutes les attitudes exigées par le personnage. Le texte a tant de force qu’il tiendrait tout seul sans même le secours de l’interprétation.
Saluons donc la performance de cette autrice, metteuse en scène et interprète en souhaitant à beaucoup de spectateurs de pouvoir profiter d’une représentation si revigorante.
En tournée en régions
Bésignan le 15/05/2002
Michèle Bigot