Vie chère : une équation quasi impossible à résoudre sans des réformes structurelles ?

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

La Martinique fait face à des défis macroéconomiques complexes et interconnectés. La dépendance aux importations, la faiblesse de la production locale, le chômage structurel, la concentration des entreprises, et le vieillissement démographique sont autant de freins à une économie résiliente et diversifiée. Les négociations en cours autour de la vie chère sont un symptôme de ces problèmes de fond, qui nécessiteraient une refonte structurelle pour améliorer la compétitivité et la soutenabilité de l’économie martiniquaise à long terme, mais le financement de ces mesures destinées à régler en partie la vie chère par l’État est problématique vu la dégradation des comptes publics de la France, alors la vie chère aux Antilles, un problème de longue date pas prêt d’être  résolu selon nous !

Ce biais culturel et financier de l’État en Martinique a connu

son apothéose pendant la crise sanitaire de 2020, l’économie avait alors été durant quelques mois quasiment socialisée – l’État prenant en charge les salaires des entreprises à l’arrêt et soutenant tous les acteurs en difficulté. Ce système n’est plus reproductible car depuis cet épisode, la dépense publique en France peine à refluer : elle représentait encore en 2023, 57% de la création de richesse du pays, un record européen, devant les 55% de l’Italie et la Belgique et une moyenne en zone euro de 50%. À ce niveau de dépendance à l’argent public, le sevrage pour l’outre-mer s’annonce complexe et hautement inflammable. Les mesures d’assainissement, qu’elles passent par des économies sur les dépenses ou par des hausses de recettes, risquent d’avoir un effet négatif sur l’activité économique à court terme de la Martinique. Cet effet est mesuré par les multiplicateurs budgétaires. Les économistes aiment en général manier ce concept de multiplicateur budgétaire, qui mesure le lien entre dépenses publiques et activité, mais personne n’est capable de le calculer précisément pour la Martinique et la Guadeloupe.

 

Ce facteur est pourtant crucial : si une baisse drastique des dépenses s’accompagne d’une récession, l’on risque une dégradation du ratio de déficit sur PIB, malgré tous les efforts de rigueur budgétaire. Scénario catastrophique, car il n’y aurait alors plus de marge de

manœuvre politique pour répondre à la colère des martiniquais en butte à la vie chère.

 

La question de la vie chère en Martinique n’est pas un phénomène isolé, mais bien le symptôme d’une réalité macroéconomique complexe, qui dépasse largement le simple ajustement des prix. En effet, cette problématique prend racine dans une série de facteurs structurels, économiques, sociaux et historiques, qui s’entremêlent pour former une équation difficilement soluble sans réformes profondes. La Martinique, comme d’autres territoires ultramarins, fait face à une conjonction de défis majeurs qui limitent ses capacités de développement économique et la rendent particulièrement vulnérable aux crises, qu’elles soient globales ou locales.Le premier frein au développement économique martiniquais réside dans son insularité et sa dépendance accrue aux importations, un leg colonial. Du fait de sa situation géographique éloignée de la France hexagonale, la Martinique supporte des coûts logistiques particulièrement élevés pour l’approvisionnement en biens de consommation, en énergie et en matériaux de construction. Cette dépendance structurelle aux importations pèse lourdement sur les prix à la consommation, lesquels sont mécaniquement plus élevés que dans l’Hexagone. Ce surcoût se répercute sur les entreprises locales, qui peinent à être compétitives, et sur les ménages, qui voient leur pouvoir d’achat s’éroder. Cette vulnérabilité économique est accentuée par une dépendance historique à l’État français. Depuis la départementalisation, le rôle central de l’État dans l’économie locale s’est affirmé, avec une large part de la population active travaillant dans la fonction publique, et des transferts massifs de fonds publics pour soutenir le tissu économique local. Cependant, cette dépendance crée un effet pervers : l’économie martiniquaise, peu diversifiée, n’a pas réussi à se développer de manière autonome et reste tributaire des aides extérieures. C’est bien en ce sens que nous avons toujours dit que l’autonomie politique sans autonomie économique est viscéralement voué à l’échec.

 

Le secteur privé, quant à lui, demeure sous-développé, peinant à se structurer en raison d’un marché du travail en difficulté et d’un manque d’investissements.En effet, le taux de chômage, particulièrement élevé parmi les jeunes, illustre la faiblesse du tissu économique local. Ce chômage structurel est en grande partie lié à une inadéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail, mais également à des coûts élevés qui freinent l’implantation de nouvelles entreprises bénéficiant de fonds propres importants. Ce manque de dynamisme entrepreneurial et l’incapacité à attirer des investissements étrangers pénalisent l’économie martiniquaise, réduisant ses perspectives de croissance.

Parallèlement, la concentration des acteurs économiques dans certains secteurs, notamment la grande distribution, limite la concurrence et favorise le maintien de prix élevés. Quelques grands groupes familiaux ou économiques exercent un contrôle quasi-monopolistique sur des secteurs clés du commerce, renforçant l’effet de la vie chère sur l’île. Ce manque de diversité dans le tissu économique, combiné à une pression fiscale élevée, décourage l’entrepreneuriat local et freine l’émergence d’une économie plus résiliente.À cela s’ajoute une autre donnée incontournable : le vieillissement démographique un futur facteur de grosses dépenses pour les collectivités locales. Alors que les jeunes diplômés quittent l’île pour trouver des opportunités en France hexagonale, la Martinique voit sa population vieillir, ce qui accroît la pression sur les systèmes de santé et de retraite, tout en affaiblissant la demande intérieure. Ce phénomène démographique, s’il se poursuit, risque de renforcer les freins au développement économique local.Malgré ces défis, la Martinique possède des atouts qui restent largement sous-exploités, notamment dans le domaine du tourisme. Bien que l’île soit une destination prisée pour ses paysages et son climat tropical, le secteur touristique souffre d’un manque d’attractivité, d’infrastructures de qualité et de coûts élevés par rapport à d’autres destinations caribéennes. Ce potentiel, s’il était mieux exploité, pourrait constituer un levier important pour diversifier l’économie locale et générer des recettes supplémentaires. Face à ces constats, il apparaît de plus en plus évident que la simple mise en place de mesures conjoncturelles pour lutter contre la vie chère, telles que la baisse de l’octroi de mer et de la TVA ou des subventions ponctuelles, ne saurait suffire à résoudre le problème de fond. Ce dernier est intrinsèquement lié à des dysfonctionnements structurels, et toute réforme visant à apporter une réponse durable nécessitera une refonte complète de l’économie locale et donc du modèle économique actuel.

 

La dépendance à l’État français et aux transferts publics, si elle a permis jusqu’à aujourd’hui de maintenir à flot l’économie martiniquaise en dépit des difficultés, ne peut plus constituer une solution à long terme.Cependant, la situation budgétaire actuelle de la France complique encore davantage l’équation. Avec une dette publique qui atteint désormais 112% du PIB soit 3258 milliards d’euros et un déficit qui s’élève à 6,2%, l’État français se trouve dans une position financière particulièrement délicate. La dégradation des comptes publics limite fortement les marges de manœuvre du gouvernement pour financer de nouvelles mesures de soutien aux territoires ultramarins, y compris la Martinique. Les réformes nécessaires, qu’il s’agisse de réduire les dépenses publiques ou d’augmenter les recettes fiscales, risquent d’avoir un impact négatif sur l’activité économique à court terme, notamment en raison des multiplicateurs budgétaires, qui rendent toute consolidation budgétaire complexe et potentiellement récessive.La Martinique, qui dépend largement de l’argent public pour soutenir son économie, pourrait se trouver piégée dans une impasse budgétaire, où toute réduction des transferts ou des subventions entraînerait une détérioration supplémentaire de son économie déjà fragile. Cette perspective inquiète les économistes, qui craignent une récession et une explosion de la contestation sociale si des mesures impopulaires de rigueur sont prises.

Il apparaît donc crucial, pour sortir de cette impasse de vie chère, de repenser en profondeur le modèle économique de la Martinique. Des réformes structurelles ambitieuses sont nécessaires pour diversifier l’économie locale, renforcer la production locale intérieure, améliorer l’attractivité du territoire pour les investisseurs notamment à l’aide d’un drainage de l’épargne locale, et développer des secteurs porteurs, tels que le tourisme ou les industries agroalimentaires locales. Seule une stratégie de long terme, articulée autour de ces objectifs, permettra à la Martinique de surmonter ses difficultés et de répondre durablement à la problématique de la vie chère.L’avenir de la Martinique dépendra en grande partie de la capacité des décideurs politiques, locaux comme nationaux, à comprendre l’importance de ces réformes et à les mettre en œuvre malgré les contraintes budgétaires actuelles. Il en va non seulement de la stabilité économique et sociale de l’île, mais aussi de la cohésion nationale, qui pourrait être menacée si la situation venait à se dégrader davantage notamment en cas d’échec relatif des négociations sur la vie chère en cours avec l’État français.

 » Sa ki an bèk, pa an fal « ! 
Traduction littérale :  Ce qui est dans ton bec n’est pas à toi Moralité : les promesses n’engagent que ceux qui y croient …
Jean marie Nol économiste