— Par Jean Claude Florentiny(*) —
L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions : Les effets pervers des nouveaux taux d’octroi de mer au sein du Marché Unique Antillais…
Le Marché Unique Antillais, pierre angulaire des échanges entre la Martinique et la Guadeloupe, soulève aujourd’hui des questions sur les conséquences attendues suite aux nouveaux taux d’octroi de mer en vigueur en Martinique. La lutte contre la vie chère reste une priorité absolue pour les autorités locales, notamment en Martinique et en Guadeloupe. La récente délibération de la Collectivité Territoriale de Martinique(N°24-300-1) & 24-300-2 visant à réduire à 0 % le taux d’octroi de mer sur les produits de première nécessité et la majoration sur d’autres produits s’inscrit dans cette dynamique. Une mesure saluée pour ses intentions, mais qui pourrait néanmoins engendrer des effets pervers menaçant l’équilibre économique et fiscal du Marché Unique Antillais.
Une distorsion douanière exacerbée
Dans le cadre du MUA, les importateurs ont la possibilité, en toute légalité, de choisir le bureau de douane où dédouaner leurs marchandises, qu’il soit en Martinique ou en Guadeloupe. Avec des taux d’octroi de mer variables selon les territoires, une concurrence indirecte pourrait naître entre ces deux régions. Les importateurs, guidés par une logique de réduction des coûts, privilégieront le territoire où le taux d’octroi de mer est le plus bas…
Ce phénomène pourrait entraîner une délocalisation des recettes fiscales vers le territoire le plus avantageux. À long terme, cela risque de désorganiser les mécanismes des recettes fiscales des collectivités et régions concernées qui sous-tendent le MUA.
Un risque de distorsion des pratiques commerciales
La réduction des taux d’octroi de mer sur des objectifs sociaux, bien que louable, pourrait inciter certains opérateurs économiques à redéfinir leurs chaînes logistiques et commerciales pour maintenir leurs ventes et donc leurs marges. Cela pourrait, par exemple, se traduire par une concentration des flux d’importation sur un seul territoire sur certains articles notamment sur les motos et véhicules.…
Une vigilance accrue nécessaire
Face à ces risques, une vigilance accrue de la CTM est nécessaire. Un mécanisme de suivi et d’évaluation des flux commerciaux entre les territoires devra être mis en place pour prévenir les dérives. En outre, une réflexion sur une harmonisation progressive des taux d’octroi de mer entre la Martinique et la Guadeloupe doit être envisagée pour préserver l’esprit du MUA tout en limitant les distorsions.
Le défi d’une réforme équilibrée
Cette situation illustre une nouvelle fois la complexité de concilier justice sociale et impératifs économiques dans le contexte insulaire. Si la réduction de l’octroi de mer sur les produits de première nécessité répond à une urgence sociale indéniable, elle ne doit pas se faire au détriment de la viabilité économique des collectivités ni de l’équité entre les territoires.
L’enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions. Mais il appartient désormais aux décideurs et aux acteurs économiques de transformer cette mesure en un levier de progrès partagé, sans en faire le vecteur de nouvelles inégalités ou déséquilibres.
Un manque de concertation qui fragilise l’harmonisation régionale
Au-delà des effets pervers possibles des modifications des taux d’octroi de mer sur le territoire, un autre problème majeur apparaît : l’absence de concertation en amont entre les exécutifs de la Collectivité Territoriale de Martinique et de la Région Guadeloupe. Cette lacune révèle des failles dans la coordination politique et économique entre ces deux territoires pourtant liés par le Marché Unique Antillais.
Alors que l’objectif fondamental du MUA est d’assurer un marché commun, une intégration économique harmonieuse, ce manque de dialogue entre les décideurs martiniquais et guadeloupéens risque d’aggraver les disparités. Une réforme de l’octroi de mer, par nature complexe et sensée, aurait nécessité une approche concertée afin d’aligner les stratégies fiscales des deux territoires et d’anticiper les conséquences économiques et sociales sur l’ensemble de l’espace caribéen.
Cette absence de collaboration traduit une gestion fragmentée de problématiques pourtant communes, telles que la lutte contre la vie chère, la compétitivité des entreprises locales et la préservation des recettes publiques. En négligeant de travailler main dans la main, les exécutifs ont ouvert la porte à des incohérences qui risquent d’être exploitées par les opérateurs économiques, au détriment des citoyens.
Une opportunité manquée pour le dialogue régional
Ce manque de concertation est d’autant plus regrettable qu’il aurait pu servir d’opportunité pour renforcer les liens institutionnels et opérationnels entre la Martinique et la Guadeloupe. Une démarche collaborative main dans la main aurait permis d’élaborer une refonte coordonnée des taux d’octroi de mer, prenant en compte les spécificités économiques de chaque territoire pour limiter les distorsions au sein du MUA et ne plus travailler en silo comme c’est le cas depuis de trop nombreuses années.
Des enseignements pour l’avenir
Pour corriger et éviter que de telles situations ne se reproduisent, il est impératif que les instances des deux territoires instaurent un cadre permanent de concertation économique et fiscale avec les acteurs du privé. Ce cadre pourrait inclure des consultations régulières entre les exécutifs, les chambres consulaires et les acteurs économiques afin de garantir une meilleure harmonisation des politiques publiques.
L’avenir du MUA dépendra de la capacité de ses membres à surmonter leurs divergences et à privilégier l’intérêt commun. Ce défi, qui nécessite du courage politique et une vision partagée, est une condition sine qua non pour faire du marché unique un véritable levier de développement pour l’ensemble des Antilles, ceci à l’aube de l’adhésion de la Martinique à la Caricom.
(*)Jean Claude Florentiny
Dirigeant du cabinet d’expertise Global Services & Logistics
Conseiller du Commerce Extérieur de France