Vie chère en Martinique : tensions autour de la grande distribution et du pouvoir économique des békés

Dans un article pour « Le Monde », Jean-Michel Hauteville relate une réunion inédite entre les patrons des principales entreprises de distribution de Martinique, les élus locaux et les membres d’un collectif citoyen mobilisé contre la cherté de la vie, un sujet qui préoccupe intensément la population locale. Le 26 septembre, autour de la table de la collectivité territoriale de Martinique, une trentaine de représentants ont tenté de trouver des solutions pour atténuer le coût des produits alimentaires, qui, selon l’INSEE, sont en moyenne 40 % plus élevés en Martinique qu’en métropole.

Lors de cette rencontre, des dirigeants d’entreprises comme Patrick Fabre, PDG du groupe CréO, ont reconnu l’ampleur du problème sans en assumer pleinement la responsabilité. Fabre a souligné les prix « excessivement chers » des produits alimentaires dans l’île, tout en affirmant que son groupe, propriétaire de plusieurs magasins de hard-discount, maintenait une politique de bas prix. Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot (GBH) – leader sur le marché de la distribution en Martinique – a quant à lui insisté sur les contraintes structurelles de ce marché insulaire, qualifiant la situation économique locale de difficile en raison de sa petite taille et des coûts élevés d’importation.

Hauteville, en faisant référence à Jean-Michel Salmon, souligne que le secteur de la distribution en Martinique est dominé par quatre grands acteurs, dont GBH, CréO, le groupe Parfait, et la Société Antillaise Frigorifique (SAFO), qui contrôlent ensemble environ 80 % des surfaces de vente de l’île. Ce degré de concentration est dénoncé par des observateurs comme une forme d’oligopole, qui permettrait aux entreprises de fixer des prix élevés. Les dirigeants des groupes contestent cette interprétation et défendent l’idée d’une concurrence réelle entre eux, bien que leurs parts de marché leur confèrent un contrôle notable sur les prix.

Au-delà des prix, l’article évoque aussi la question de la transparence financière. Hauteville rapporte les critiques de certains élus, dont Johnny Hajjar, ancien député et rapporteur de la commission parlementaire sur la vie chère, qui déplore le manque de visibilité sur les comptes de ces grands groupes. Cette absence de transparence empêche, selon lui, un contrôle efficace par l’État sur les marges et les pratiques commerciales de ces entreprises.

Un autre aspect central du problème, mis en avant par Hauteville, est la dimension historique et sociale de la domination économique de la communauté béké, descendants de colons et grands propriétaires terriens. En effet, des entreprises comme GBH sont majoritairement détenues par des familles békées, un groupe représentant moins de 1 % de la population martiniquaise mais détenant environ 55 % des terres agricoles. La position économique dominante de cette minorité accentue un sentiment d’injustice parmi les Martiniquais, bien que des représentants du collectif contre la vie chère appellent à ne pas « racialiser » ce débat.

En conclusion, l’article de Hauteville met en lumière les enjeux complexes de la vie chère en Martinique, où des structures de marché concentrées, une opacité financière et des tensions sociales et historiques s’entremêlent, rendant la question difficile à résoudre sans réforme structurelle profonde (« Le Monde », Hauteville).