— Par Fara C. —
Nommée doublement aux Victoires de la musique, la chanteuse et mannequin Yseult offre, avec son album Brut, une ode au désir. Cette année, sur les 26 nominations, on compte 9 femmes. Cherchez l’erreur…
Combien d’années faudra-t-il attendre pour que les Victoires de la musique, dont l’édition 2021 se déroulera le 12 février, deviennent un écho plus juste de la réalité culturelle et artistique de notre pays ? Comment une artiste comme Yseult se retrouve-t-elle dans la catégorie révélation ? Pourtant, la vidéo de sa chanson Noir compte 700 000 vues et celle de Corps dépasse les 5 millions de vues. Ses publications suscitent des milliers de commentaires. Il importe que les Victoires de la musique prennent mieux en considération les forces économiques dans leur ensemble – en particulier le riche et dynamique tissu des structures indépendantes – et, en outre, améliorent leur représentation de la société française.
Récemment, France Info s’est fait écho d’une certaine grogne. Celle-ci se manifeste de plus en plus dans les médias et sur les réseaux sociaux. Nominée pour Facile (en catégorie chanson originale), Camélia Jordana n’a pas pour autant courbé l’échine ; elle a dénoncé le manque de parité. Un dysfonctionnement qui serait dû, selon elle, mais aussi selon de multiples actrices et acteurs du secteur, à des accords en catimini entre de grosses sociétés de l’industrie musicale.
Que de chemin, encore, pour que les filles acquièrent une juste place dans les musiques actuelles ! En 2018, on estimait leur présence à 5 % en tant qu’instrumentistes et à 17 % comme autrices inscrites à la Sacem. Ainsi, pour ces 36es Victoires, sur les 26 nominés, on dénombre 9 femmes (soit environ un tiers), parmi lesquelles figurent Camélia Jordana, Aya Nakamura, Pomme, Suzane et Yseult.
Une catégorie albums entièrement masculine
Dans la catégorie albums, c’est l’hécatombe pour la gent féminine. Une véritable défaite de la musique : aucune victoire pour les chanteuses et musiciennes.
La catégorie est réservée à cinq finalistes masculins, Julien Doré (Aimée), Ben Mazué (Paradis), Benjamin Biolay (Grand Prix), Grand Corps Malade (Mesdames) et Gaël Faye (Lundi méchant). Yseult est nominée en deux catégories : révélation féminine (aux côtés de Clou et Lous & The Yakuza) et chanson originale (désignée par le vote du public) pour son tube Corps. C’est quasi nue qu’apparaît l’ex-finaliste de Nouvelle Star, en 2014, dans le clip de cette chanson autobiographique. En cette œuvre audiovisuelle splendide, envoûtante et d’une hardiesse hallucinante, elle concentre sa lutte à la fois contre le patriarcat, le racisme et la grossophobie. Il y a peu, elle a déclaré sur RFI : « Tout est politique, même le sexe. »
À 26 ans, elle publie son EP Brut, dont les six titres se promènent à travers pop, variété, indie rock, soul et trap, avec une prédilection pour les atmosphères ouatées. Ses textes gagneraient à plus de singularité dans l’écriture, mais ils passent bien dans la mesure où la chanteuse, auteure, compositrice, productrice et mannequin élabore un objet d’art total, articulant chanson, musique, art visuel, scénographie, chorégraphie…
L’identité en question et l’ordre dominant bousculé
Après sa déconvenue avec la firme discographique qui avait sorti son premier album, en 2015, elle a fondé son label (YYY), « seule garantie pour préserver (ma) liberté ».« Ma couleur de peau est politique, mes cheveux sont politiques, ma corpulence est politique », renchérit-elle.
Dans le superbe clip de Bad Boy (premier single de son opus), elle pousse la témérité jusqu’à se montrer dénudée et ligotée selon la technique érotique du shibari (bondage japonais). Elle ne perçoit, dans le fait de s’adonner au shibari, nulle contradiction avec les combats qu’elle mène.
Ia couleur de peau est politique, mes cheveux sont politiques, ma corpulence est politique.
Pour celle qui s’assume comme personne forte corporellement, exercer le shibari avec un afro-descendant, montrer l’audace et la tendresse d’un couple noir, c’est subversif. Car cela bat en brèche les clichés et déconstruit l’image simpliste, dévalorisante, édifiée à l’endroit des personnes racisées. La jeune pasionaria sans peur et sans reproche questionne l’identité et fustige l’ordre dominant, en livrant avec Brut une ode incandescente au désir et à l’indépendance.
Source: Lhumanité.fr