— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La Guadeloupe qui possède bien le potentiel minier Marin pour devenir un des joyaux des Caraïbes, fait pourtant aujourd’hui face à des défis économiques et sociaux majeurs alors que le modèle de départementalisation montre des signes de fatigue. Avec une économie fortement dépendante de l’agriculture primaire canne/banane et du tourisme ainsi que des subventions publiques, l’archipel se trouve à un carrefour crucial où l’innovation et la réinvention sont impératives pour assurer un avenir durable et prospère.Depuis son intégration en tant que département français en 1946, la Guadeloupe a bénéficié de nombreux avantages liés à son statut, notamment des infrastructures développées et un accès aux services de santé et sociaux. Cependant, ces avantages sont devenus insuffisants pour répondre aux besoins croissants de la population guadeloupéenne, confrontée à des taux de chômage élevés, une précarité économique persistante et des inégalités sociales grandissantes.Avec le changement des institutions il ne faut certainement pas s’attendre ni à une révolution dans le développement de la Guadeloupe, ni à un renversement de tendance de la problématique identitaire. Aussi pour certains intellectuels antillais et je les cite à dessein » ce besoin de faire bouger les lignes, de faire émerger de nouvelles légitimités n’est pas propre à la Guadeloupe et à la Martinique. Là où les identités sont niées, là où le besoin d’affirmation de son « être-au-monde » en tant que peuple-nation est bafoué, naissent tout naturellement des revendications vives, mais aussi et surtout (nous le constatons tous les jours) une souffrance qui peut atteindre les formes irrationnelles de la violence. À ce mal-être collectif s’ajoute des difficultés à penser, à agir, à construire, à se projeter et même à affronter de manière efficiente les défis et les urgences qu’impose la gestion territoriale de ce tissu humain. Mais le pire, c’est que la pensée politique elle-même se retrouve immobilisée dans des incantations anticolonialistes, des postures xénophobes, des radicalités sommaires, dont la virulence peine à dissimuler une parfaite impuissance et, souvent hélas, l’amertume inavouable d’un renoncement intériorisé au « geste politique ».
« La revendication est donc d’introduire dans la Constitution française la question de la différenciation. Certes, l’autonomie avec l’article 74 ou encore un article 73-1 pourrait être une option à cette différenciation mais elle effraye obscurément le plus grand nombre de nos compatriotes et ne correspond pas à l’inédite revivification que nous voulons pour « Faire Pays ». »
Face à cette réalité d’un malaise en passe de devenir existentiel, l’heure est venue d’imaginer un nouveau modèle économique et social pour la Guadeloupe préalablement à un changement brutal des institutions, un modèle qui capitalise sur les richesses naturelles et culturelles de l’archipel tout en favorisant une croissance inclusive et durable à l’aide d’une demande au gouvernement d’une habilitation générale. Une habilitation générale est un dispositif législatif de l’article 73 de la constitution qui permet à un territoire, tel que la Guadeloupe, de légiférer dans certains domaines relevant normalement de la compétence de l’État central. Cela leur donne une autonomie accrue pour élaborer leurs propres lois dans ces domaines spécifiques notamment le développement économique
Ce nouveau modèle devrait s’appuyer sur plusieurs piliers :
*Diversification économique : Réduire la dépendance excessive des importations en développant d’autres secteurs économiques tels que l’agriculture durable, l’industrie créative à partir des nodules polymetalliques et sulfures de fer, les énergies renouvelables tels que la géothermie,le bioéthanol, l’hydrogène et le commerce équitable à partir de l’industrie agroalimentaire. Cela permettrait de créer des emplois locaux, de stimuler l’entrepreneuriat et de valoriser les ressources locales de transformer les produits étrangers de la zone Caraïbes et Amérique du Sud.
*Briser la bourgeoisie compradore et démanteler les pôles monopolistique et oligopolistique : Il s’agit là de promouvoir une industrialisation à partir des ressources locales, favoriser les circuits courts et soutenir les petits producteurs pour garantir un véritable commerce extérieur de l’archipel et réduire sa dépendance aux importations.
*Inclusion sociale : Renforcer les politiques d’éducation et de formation professionnelle, investir dans les infrastructures sociales (logements abordables, crèches, centres de santé) et promouvoir l’égalité des chances pour tous les citoyens guadeloupéens, en particulier les jeunes et les populations marginalisées.
* Innovation technologique : Utiliser les avancées technologiques comme l’intelligence artificielle pour stimuler l’innovation, améliorer l’efficacité des services publics, encourager l’entrepreneuriat numérique et créer des opportunités d’emploi dans les industries émergentes.
*Gestion durable des ressources naturelles : Protéger l’environnement fragile de la Guadeloupe en mettant en œuvre des politiques de conservation et de gestion durable des ressources naturelles, tout en promouvant un tourisme responsable et respectueux de la biodiversité.
* Anticiper les effets néfastes du changement climatique :
Cela nécessite une approche proactive et holistique, impliquant des actions à plusieurs niveaux comme dans l’information, l’éducation et la sensibilisation des populations sur les impacts du changement climatique afin de favoriser une prise de conscience collective et des comportements plus durables. Il convient donc de mettre en parallèle une adaptation et un renforcement des infrastructures telles que les systèmes de drainage, les digues et les réseaux d’approvisionnement en eau pour résister aux phénomènes météorologiques extrêmes tels que les cyclones et les inondations. Dans ce domaine la planification est indispensable pour mettre en place des pratiques de gestion durable des ressources naturelles telles que la conservation des écosystèmes côtiers et des forêts pour atténuer les effets du changement climatique tels que l’érosion côtière et les glissements de terrain, et aussi réduire la dépendance aux industries vulnérables aux changements climatiques, telles que le tourisme côtier, en favorisant par exemple le développement de l’agriculture résiliente et des énergies renouvelables.
* Instaurer et imaginer un tourisme culturel à travers la promotion de l’identité culturelle guadeloupéenne:
Un unique grand musée de l’histoire de la Guadeloupe peut servir de plateforme pour présenter et célébrer l’histoire, la culture, l’art et les traditions de l’archipel. Il s’agira de mettre en valeur les aspects uniques de la Guadeloupe en terme de diversité de peuplement à l’instar des Amérindiens,des vikings, des colons français,des esclaves africains et irlandais,des engagés hindous des îles de l’Indonésie, des Phéniciens syro-libanais… etc, pour attirer les visiteurs surtout de bateaux de croisières intéressés par une immersion culturelle authentique. Pour ce faire il faudrait la création d’expositions attractives et interactives et concevoir des expositions dynamiques et engageantes qui utilisent des technologies innovantes telles que la réalité virtuelle, les projections vidéo et les dispositifs interactifs pour rendre l’histoire de la Guadeloupe vivante et accessible à un large public, y compris aux familles, aux touristes et aux jeunes.Cela nécessite une collaboration avec les communautés locales. Cela peut également encourager un sentiment de fierté et de propriété parmi les habitants, renforçant ainsi les liens entre le tourisme et le développement local. Par ailleurs dans l’ensemble des forts de la Guadeloupe,il faudrait organiser des événements culturels réguliers tels que des concerts de musique traditionnelle ( gwo ka, quadrille, biguine), des démonstrations d’artisanat d’art local, des conférences sur l’histoire et des ateliers culinaires pour offrir aux visiteurs une expérience culturelle immersive complète au-delà des expositions permanentes.
Pour concrétiser cette vision ambitieuse, une collaboration étroite entre le gouvernement local, les acteurs économiques, la société civile et les partenaires internationaux comme l’union européenne sera essentielle. Il faudra également un engagement fort en faveur du dialogue et de la participation citoyenne pour garantir que ce nouveau modèle économique et social soit véritablement inclusif et reflète les aspirations de la population guadeloupéenne dans toute sa diversité.Ensemble, en repensant nos politiques, nos pratiques et nos priorités, nous pouvons ouvrir la voie à un avenir meilleur pour la Guadeloupe, un avenir où le dynamisme économique va de pair avec la justice sociale et la préservation de notre patrimoine naturel et culturel unique.
Jean-Marie Nol économiste