— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La guerre en Ukraine pourrait entraîner un tsunami économique et une crise alimentaire mondiale, « un ouragan de famine » selon le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Généralement, lorsqu’on tente de déterminer l’évolution du niveau de richesse d’un pays et voir si l’économie va bien, on se fie à l’observation du produit intérieur brut (PIB). Cet indicateur ,qui mesure la richesse produite, provient de l’estimation de l’ensemble des activités sur un territoire donné pendant une période donnée. Qu’est-ce que la richesse d’un pays ?
En termes simples, c’est, dans un pays, la somme des valeurs ajoutées de toutes les productions annuelles de biens et de services marchands, à laquelle on ajoute le coût de production des services non marchands des administrations (par exemple l’enseignement et la santé publique).
En France, comme partout ailleurs, la richesse produite qui sous-tend la notion de croissance ira en diminution, car la crise du Covid-19 et le conflit Russo-ukrainien ont fait exploser les déficits et mis l’économie à genoux. Beaucoup de secteurs sont très durement touchés par les hausses exponentielles de l’énergie et des matières premières ,et cela va immanquablement tirer la croissance vers le bas à savoir la récession pour de nombreux pays du monde. Avec la guerre en Ukraine et la menace de crise financière mondiale, plus rien ne sera comme avant, et les rapports de force entre Etats seront de retour. Cette nouvelle donne géopolitique va probablement bouleverser l’ordre établi depuis la mondialisation. Maintenant ,c’est chacun pour soi ,et le sort de beaucoup de pays notamment émergents est d’ores et déjà scellé par la crise avec son lot de désagrément pour le peuple (grande pauvreté et famine) . Ça sera désormais donnant-donnant en terme d’échanges commerciaux , et donc une diminution de l’aide au développement avec l’émergence d’une forme cynique de néo colonialisme. Par ailleurs , l’aide financière à travers les transferts publics devrait se tarir et les dotations et subventions devraient , somme toute , arriver en Guadeloupe , au compte goutte. Et pour cause, une nouvelle politique monétaire et budgétaire devrait voir le jour en France hexagonale avec une diminution drastique de la dépense publique.
C’est là dans un contexte délétère que le produit intérieur brut(PIB) de la Guadeloupe n’a pas progressé au quatrième trimestre et devrait même diminuer sensiblement au premier trimestre de 2022. De l’avis de l’iedom ce chiffre est « décevant » compte tenu de l’importance des éléments financiers du plan de relance de la région.
Si au moment de la pandémie de Covid-19 , la politique de relance économique de la région Guadeloupe a pu à certains égards apparaître pertinente, à notre sens aujourd’hui ce n’est plus le cas car le contexte géopolitique a changé et avec lui est apparu une nouvelle donne économique.
Y aura-t-il un avant et un après la guerre en Ukraine, en matière de croissance pour la Guadeloupe ?
La réponse est sans aucun doute , oui , et dans le mauvais sens , car les entreprises guadeloupéennes sont déjà très touchées par la pandémie de COVID ,et seront à coup sûr impactées par l’invasion Russe en Ukraine.
Acier, aluminium, bois, ciment, bitume, électricité, gaz, denrées alimentaires, essence, papier, poisson… Derrière cet inventaire à la Prévert, des prix qui grimpent mois après mois atteignant parfois des niveaux historiques.
Sur fond de guerre en Ukraine, les principaux matériaux de construction voient leur prix s’envoler du fait de la raréfaction de certaines matières premières et du prix de l’énergie nécessaire à leur fabrication. Industriels, constructeurs, artisans sont désormais sur les dents.
Conséquence directe d’une pandémie qui a déréglé le Meccano du commerce mondial, partout sur la planète les étiquettes flambent . L’Hexagone ne fait pas exception : l’inflation y a atteint en février son plus haut depuis 2008. Et en Guadeloupe, on commence déjà à ressentir les premiers signes de cette poussée inflationniste. La forte hausse des prix sur certains produits et son impact anticipé sur la consommation expliquent le pessimisme des commerçants tandis que du côté des industriels, c’est plus probablement le risque de pénurie d’intrants essentiels qui l’explique. Les chefs d’entreprise guadeloupéens interrogés après le 25 février ont immédiatement révisé à la baisse leurs perspectives d’activité, très fortement dans le commerce de détail, et significativement dans l’industrie et le tourisme avec l’augmentation sensible des billets d’avions.
La baisse de l’offre va mécaniquement réduire l’activité dans certaines branches déjà touchées par des pénuries ou des délais de livraison, l’automobile en particulier, mais aussi les composants de la construction immobilière. D’autre part, la montée de l’inflation va réduire le pouvoir d’achat des consommateurs. Cette cisaille géante va réduire l’activité, donc faire baisser brutalement la croissance tout en accélérant le chômage : c’est bien de stagflation dont il s’agit, avec à la clef pertes d’emploi et profits des entreprises réduits, donc moins d’investissement, et, enfin, envolée des déficits budgétaires. Dans ce contexte, la politique de relance économique de la région Guadeloupe peut s’avérer totalement inopérante , et surtout contre productive. En effet, contrairement à la politique de l’offre jusqu’ici menée par les responsables politiques régionaux, il convient de s’engager sans plus tarder sur une politique économique contracyclique adossée à des éléments tendant à la stimulation de la demande. Pour ce faire, la région doit réduire de façon drastique ses aides financières aux entreprises en général ,et cesser immédiatement tout soutien financier aux entreprises zombies. L’acquisition d’entreprises par l’intermédiaire de la SEM patrimoniale comme la coopérative SICAFRUIT , l’hôtel Pierre et Vacances , l’éventuelle participation au capital de l’usine de Marie Galante, s’avère être une grossière erreur de jugement et un pari bien risqué sur l’avenir. De même que l’intervention financière de la région à hauteur de 300 000 euros pour débloquer le conflit inhérent à la canne est une faute de gestion. Est ce là une parodie de la politique du « quoiqu’il en coûte » de Emmanuel Macron ?.. Sauf que le chef de l’État bénéficie du soutien de la banque centrale européenne qui rachète la dette émise par la France. En effet, la Banque Centrale Européenne mène depuis plusieurs années une politique monétaire accommodante basée sur le quantitative easing. La banque centrale rachète sur le marché secondaire des dettes d’Etats détenues par des investisseurs institutionnels. Mais très bientôt ce dispositif de rachat de crédit à tout va sera terminé , dans la mesure où cela engendre des difficultés à lutter contre les poussées inflationnistes en Europe . Nul doute que l’ère de l’argent magique sera très bientôt revolue.
Mais quid de la situation budgétaire et financière de la région Guadeloupe , si ce n’est que ce sera vraisemblablement au final le contribuable guadeloupéen qui va devoir honorer la facture des déficits et de la dette.
Pour éviter ,autant que faire ce peut, ce scénario noir mais tout à fait très probable , la région doit impérativement cesser son interventionnisme forcené dans l’économie et laisser l’État faire le Job de la régulation de l’économie guadeloupéenne . Elle doit ,avant tout autre chose .impérativement réduire ses dépenses de fonctionnement et d’investissement. Le schéma économique le plus réaliste pour faire face à la stagflation est de restreindre l’offre de crédit aux entreprises et ménages , et soutenir la demande et le pouvoir d’achat, en baissant immédiatement les taxes sur l’essence ainsi que celles de l’octroi de mer portant sur certains produits bien ciblés particulièrement exposés à la hausse des prix.
Nos élus n’ont-t-ils pas manqué de vision dans l’approche méthodique d’une politique économique assise sur le concept vague de la responsabilité locale ?
Peut-être . Mais la prudence vaut aujourd’hui parfois mieux qu’un grand programme de relance vide de sens ou suicidaire. Il faut parfois se méfier de la vision désincarnée qu’endossent certains responsables politiques et économiques , croyant qu’elle réglera la plupart des problèmes. Une vision erronée ou trop ambitieuse aura bien souvent pour effet d’empirer les choses.
Dans la situation actuelle, il doit y avoir un début de prise de conscience de la nécessité d’une autre forme de société, qui n’est pas nécessairement fondée sur la dépense publique à tout crin, l’égoïsme, le profit… La société de demain doit changer de paradigme économique si elle veut une évolution sereine vers un nouveau modèle plus responsable et beaucoup plus soucieux des enjeux cruciaux de demain. Dans cette optique, cette citation de James Thurber, inspirée de la sagesse amérindienne, exprime bien le ressenti de notre changement d’époque… » Ne regardez pas en arrière avec colère, ni devant avec crainte, mais autour de vous avec confiance. »
Jean Marie Nol économiste