— Par Par Nadia Belrhomari —
Évaluer le bien fondé d’un revenu universel qui permettrait à chacun de percevoir une somme minimale lui permettant de vivre décemment… C’est l’une des 20 pistes proposées par le CNNum, le Conseil national du numérique, dans son rapport sur « l’emploi et le travail à l’heure du numérique », remis hier à la ministre du Travail. Focus sur cette mesure que l’on dit novatrice…
Le revenu universel, une idée nouvelle ?
Une idée nouvelle ? Pas si sûr que ça en réalité. Car qu’il s’agisse du revenu de base, de l’allocation universelle ou encore du revenu universel, tous ces termes désignent en réalité une vieille idée : verser à chaque citoyen un revenu. En France, dans les années 90 déjà, des mouvements de chômeurs en avaient fait une revendication majeure, au point qu’un rapport parlementaire avait été publié au début des années 2000 sur ce sujet. Des personnalités politiques s’étaient aussi emparées de ce qui apparaissait alors, déjà comme une nouveauté. En 2006, Christine Boutin avait ainsi déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi créant un dividende universel. Dominique de Villepin, alors candidat à la présidentielle, avait, quant à lui, proposé en 2011, une réforme du monde du travail fondée sur cette même idée : 850 euros par mois sans travailler… On pourrait multiplier les exemples, comme celui de l’ancien ministre du Budget, Éric Woerth, qui, dans son livre «une crise devenue française, quelle politique économique pour la France?» aborde lui aussi la question … Même des associations en ont fait leur créneau, comme le MFRB, le Mouvement français pour un revenu de base, qui milite depuis deux ans pour un revenu universel. C’est cette association qui donne une définition précise de ce que serait le « revenu de base » : « un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement »…
Revenu universel : une idée qui fait son chemin…
Face aux risques de paupérisation et de fracture sociale, le rapport recommande de s’appuyer sur les expériences notamment menées en Europe autour du « revenu de base ». La proposition 20 du Conseil national du Numérique de créer à terme un revenu universel de base s’inspire donc directement de l’expérimentation menée depuis peu par les Pays-Bas et la Finlande. Tous deux testent le versement, sans contrepartie, d’un salaire minimum commun pour tous les citoyens du pays, sans distinction d’âge, de situation sociale ou de santé. Une allocation de base pour lutter contre la pauvreté, mais dont la contrepartie est la suppression pure et simple des aides sociales. Pour les finlandais et les hollandais, fini donc les aides au logement, aux études, au chômage. Finie aussi la pension de retraite. Mais ils peuvent toujours, pour avoir un niveau de vie plus élevé, compléter ce revenu de base en étant salarié, artisan ou entrepreneur.
Il reste qu’Helsinki n’est pas pionnière en ce domaine. En Alaska aussi, une forme de revenu de base existe. Depuis 1981, les alaskiens perçoivent un « dividende annuel de citoyenneté » financé par la manne pétrolière de l’Alaska. En 2014, selon le rapport annuel du département des revenus de l’Etat d’Alaska, son montant fut de 1 884 dollars, soit plus de 1 700 euros. Au Canada dans la ville de Dauphin, un revenu inconditionnel a également été expérimenté pendant plus de quatre ans. Ce test a permis de montrer que si le nombre d’heures travaillées n’a diminué que de 1%, les jeunes, plutôt que de travailler, ont prolongé leurs études et les hospitalisations ont diminué, tout comme la criminalité. Du côté de l’Afrique, en Namibie par exemple, les habitants du village d’Otjivero touchent depuis 2008, cent dollars namibiens par mois, versés par une coalition pour l’instauration d’un revenu de base dans le pays. Là aussi, le chômage a diminué, la scolarité augmenté, l’artisanat s’est développé, la santé des villageois aussi…bref…Beaucoup d’expérimentations un peu partout dans le monde qui permettent au revenu universel de faire son chemin.
Le revenu de base, réalité de demain ?
Pour ses partisans en effet, les bénéfices du « revenu de base » seraient multiples. Le rapport cite, par exemple, la lutte contre les inégalités, promettant un revenu aux artistes, indépendants, bénévoles et personnes en recherche d’emploi. Le revenu de base étant inconditionnel, il serait une réponse simple au phénomène de la trappe à pauvreté, tant il est vrai qu’aujourd’hui, les allocations d’assistance engendrent une désincitation à travailler, ces aides s’arrêtant en effet dés l’emploi trouvé. Le « revenu de base » permettrait également d’appréhender le travail sous un autre prisme. L’argent, pesant moins dans la balance, laisserait place au développement personnel. Les citoyens seraient ainsi à même d’accepter des postes moins rémunérateurs, mais personnellement plus enrichissants. Une aubaine pour les libéraux qui veulent y croire. La droite y voit un bon moyen de simplifier les systèmes de redistribution sociale. La mise en place du revenu de base pourrait en effet s’effectuer en transférant les budgets sociaux actuels, ce qui aurait pour effet de diminuer la complexité des aides accordées. Le rapport du Conseil national du numérique souligne d’ailleurs les effets simplificateurs de la gestion des aides sociales. La lisibilité du système en sortirait améliorée, tout en diminuant la bureaucratie nécessaire pour le faire fonctionner. Un argument qui fait mouche auprès des entrepreneurs excédés par les lourdeurs de l’administration, qui se rallient généralement à la cause. Le Centre des Jeunes Dirigeants, un think tank regroupant 3 500 entrepreneurs, avait ainsi inséré fin 2011 l’allocation universelle à la tête de ses 12 propositions phares regroupées dans son livret « Objectif Oïkos ».
Beaucoup néanmoins doute de l’efficacité réel du dispositif de revenu universel. Ils posent notamment la question de son financement ou encore de ses effets – une hausse possible des impôts ? Sans doute est-ce la raison pour laquelle le Conseil national du numérique préconise dans son rapport de réaliser, avant toute mise en ouvre du dispositif, des études de faisabilité. Même si pour son président, Benoît Thieulin, « nous ne pouvons pas ignorer ce mouvement ».Face à l’impossibilité de « prédire » si l’automatisation créera plus d’emplois qu’elle n’en détruira, « les acteurs publics doivent anticiper l’éventualité d’un chômage structurel persistant et d’une montée des inégalités » en trouvant « une nouvelle manière de penser la relation entre le travail et la distribution des richesses », rappelle-t-il.
Si donc, l’idée a encore du mal à pénétrer la sphère politique,la crise pourrait bien accélérer les choses. Avec un chômage record en France, une précarité grandissante et une économie en berne, rémunérer toute contribution aux richesses matérielles ou immatérielles et non plus seulement le travail au profit d’une entreprise, permettra peut-être de sortir de la crise. C’est bien ce qui ressort des expériences qui ont été menées un peu partout dans le monde.
Source : Public-Sénat