Roman inclassable et iconoclaste
Alain Foix, guadeloupéen, est écrivain, docteur en philosophie, directeur artistique, documentariste et consultant. Journaliste et critique de spectacles, il est également auteur d’un grand nombre d’articles et de courts essais, notamment sur l’art et le spectacle, directeur artistique et d’établissements artistiques et culturels il a notamment dirigé la scène nationale de la Guadeloupe de 1988 à 1991. Il s’est vu décerné le Premier prix Beaumarchais/ Etc_Caraïbe d’écriture théâtrale de la Caraïbe pour Vénus et Adam (2005) et Prix de la meilleure émission créole au Festival Vues d’Afrique de Montréal (1989) etc. Fort-de-France a eu la chance d’être le lieu l’an dernier d’une création mondiale d’Antoine Bourseiller : la mise en scène de Pas de prison pour le vent une pièce écrite par Alain Foix. Il publie aujourd’hui aux Editions Galaade, Vénus et Adam.
Résumé du livre
21 septembre 2001. Alors que la planète regarde les ruines fumantes des Twin Towers, le corps d’un enfant noir sans tête, ni bras, ni jambes, petit tronc recouvert d’un short orange, est retrouvé dans la Tamise. Dépêchés sur place, l’inspecteur Ling, expérimenté et méthodique, est Jean Windeman, journaliste se rêvant écrivain, tentent de lever l’énigme de l’origine du petit garçon baptisé Adam par Scotland Yard. Crime rituel ou crime raciste ? Le monde s’émeut, l’incroyable enquête s’étend en Allemagne, en Afrique du Sud et au Nigeria tandis que Nelson Mandela en personne lance un vibrant appel pour retrouver l’identité de l’enfant, victime de la barbarie. La troublante Vénus Baartman, nouvelle recrue de la police scientifique, a peut-être des réponses – d’autant plus que le hasard – ou le destin – replace dans l’actualité une autre Vénus, Hottentote, née en esclavage en 1789 et exposée dans des zoos humains en Angleterre et en France avant de finir empaillée au musée de l’Homme. Quels liens y a-t-il entre Adam et Vénus, archétypes modernes de la question de l’origine et du crime inaugural
Visiblement hanté par les questions d’origine – ethnique, culturelle, géopolitique ou religieuse – Alain Foix a une certaine idée de la symbolique. Récit éthéré, son ‘Vénus et Adam’ regorge de réflexions profondes et imagées sur l’humanité. Tout part du corps démembré et étêté d’un jeune Africain, à peine vêtu d’un short orange dérisoire, tache de lumière indécente sur l’horreur la plus noire. Un journaliste français, juif par héritage, un policier sino-britannique et la troublante Vénus Baartman, Sud-africaine d’origine et initiée au culte vaudou, se lancent dans une enquête à la fois policière, identitaire et essentialiste.
Moins comme un plaidoyer égalitariste que comme une quête anthropologique et philosophique, Alain Foix sacralise une réalité morbide, effaçant au passage le contraste entre l’ombre et la lumière, entre le noir et le blanc. Il décortique les origines de la confrontation des races en invoquant les peurs intestines inhérentes à l’altérité. Mais surtout il interroge les rapports entre les peuples et les limites les plus solidement ancrées de notre tolérance. Parti pris assumé, ‘Vénus et Adam’ dénonce avant tout “l’holocauste du peuple noir”, victime et responsable désigné qui s’incarne dans le tronc anonyme d’un jeune Africain sacrifié.
Poétique et enlevé, le récit foisonne de références diverses. Alain Foix revisite la mythologie, des Gorgones à Persée, de Pégase à Sisyphe, et convoque pêle-mêle la Reine de Sabah, Salomon, Abraham et Sarah.
L’alliance d’une esthétique brillante et d’un message profondément humaniste fait des merveilles dans ce roman inclassable et iconoclaste. La quête mystico-policière des héros maintient âme et corps en alerte, jusqu’à la conclusion apocalyptique d’un rite vaudou obsédant et libérateur, étrange communion eucharistique où se fondent préjugés et culpabilités. Et Vénus d’enfanter Adam pour lui redonner corps, dignité et humanité. Epoustouflant !
Thomas Flamerion
http://www.evene.fr/livres/livre/alain-foix-venus-et-adam-25236.php?critiques
Telle une ode au drame et à la beauté, Vénus et Adam (Ed. Galaade) est de ces romans « à l’ancienne » qui se lisent avec plaisir… Et qui s’emparent de vous. Dans la chaleur de l’Ogre à plumes, Alain Foix dévoile les moteurs de son écriture…
Un polar, vraiment ? Pas tout à fait. Selon lui, Vénus et Adam relèverait plus de la « quête » que de l’« enquête »… Car il n’est pas un grand lecteur de romans policiers. Lui, c’est Alain Foix : un auteur qui se définirait bien comme un « philosophe danseur », et que tout semble intéresser… Et pour cause : sa carrière a emprunté les ramifications artistiques les plus diverses. Au fil de ses rencontres, surtout. Dramaturge, directeur de théâtres, prof de philo, réalisateur de documentaires, assistant en chorégraphie… Il semble avoir embrassé toutes les passions. Une vie comme un roman, pourrait-on dire – à ceci près que l’homme ne s’embarrasse pas des conventions, et qu’il serait plutôt de ceux qui suivent leur inspiration. Coûte que coûte. «J’écris souvent avec de la musique dans la tête… confie t-il. Le rythme des phrases peut venir comme ça, avec les sonorités. J’écris de la musique, en fait, mais c’est involontaire… » Multi-artiste, certainement : et on sait que les écrivains se servent de tout ce qu’ils ont… Mais plutôt que de se poser ce genre de questions, Alain Foix préfère rester en mouvement. « En fait, je suis plus un réactif qu’un actif. »
Première, seconde…
Au détour de certaines phrases, au carrefour de certains mots, c’est souvent le danseur qui parle : « Je pense en fait que mon écriture a été affûtée quand j’étais critique de danse… Ecrire les mouvements sur le papier, ressaisir le sens des gestes – ça aussi, ça m’a beaucoup aidé. Espace insaisissable que celui de la danse… Où le corps deviendrait presque un non-corps, finalement. Il y a un vrai rapport paradoxal. Je pense que tout, la danse y comprit, se construit autour d’un vide à combler. » Pour l’écrivain, la danse et l’écriture sont très vite devenues intrinsèquement liées. Un peu comme si elles n’avaient jamais été démêlées l’une de l’autre…
Une écriture qui est tout de même venue sur le tard : car toute sa vie, Alain Foix l’a consacrée à accompagner des artistes, à travers le financement de leurs projets ou la mise en forme de leurs idées. « Mais je crois que l’écriture reste la chose la plus évidente pour moi. Je n’ai jamais été à fond dans l’écriture, et je pense que je ne me suis jamais vraiment « vu » artiste… Je ne me suis jamais posé comme créateur, car j’ai toujours aidé d’autres artistes. Je sais les comprendre, travailler sur leurs matières. J’aime entrer dans le matériau de l’œuvre, comprendre l’intention générale de l’artiste… L’écriture, elle, est venue quand j’ai compris que des choses devaient vraiment sortir de moi. Elle est devenue comme le flot qui a fait céder le barrage… » Une nécessité qui n’a pourtant jamais flirté avec la douleur. « Je peux écrire toute la journée, et j’écris très vite. Ça n’a jamais été une souffrance ou une torture : je prends un grand plaisir à écrire, je danse ! »
Pentartiste
Une danse qui l’a poussé, en 2001, à fonder et diriger le Quai des arts, une association « qui a pour objet la production et le conseil artistique et culturel. L’intérêt de cette structure, c’est de faire se rencontrer des compositeurs, des gens de théâtre, des artistes du multimédia… Mon rôle est de les mettre en relation, et de les amener à créer des projets ensemble. » Les actions se sont alors multipliées, en banlieue principalement, et dans la Seine Saint-Denis en particulier – où le jeune prof de français et d’histoire, au tout début, avait déjà fait ses armes…
Car les jeunes du 9-3 sont tout simplement des jeunes – si, si –, et Alain Foix les a toujours côtoyés : d’abord en tant qu’enseignant, puis en tant qu’intervenant dans des collèges, à travers la création de projets culturels et pédagogiques : « Les élèves se montrent souvent très imaginatifs, rigoureux, et même talentueux… Ils sont totalement passionnés ! » C’est bien simple : Alain Foix semble avoir signé un pacte avec la jeunesse, et ses projets en cours ne peuvent qu’en attester. Entre autres, on aura bientôt le plaisir de lire Je danse donc je suis («quel pied de nez à Descartes!»), un ouvrage de philosophie qui amènera les adolescents à se questionner sur différents concepts, tout autour de la danse… Sans oublier Marianne et le fantôme de l’île aux esclaves, une pièce de théâtre musical qui sera également produite sous forme de livre-disque.
En somme, Alain Foix continue de se diversifier… Et la poésie, dans tout ça ? Car s’il devait bien manquer une casquette, ce serait bien celle de poète… « Je ne suis pas un grand lecteur de poésie. Mais elle est là, elle s’insinue : elle est dans la musique, les sons et les mots. La danse, c’est aussi la poésie du mouvement. » La danse serait-elle au centre de tout ? La poésie, elle, est en tous cas bien présente dans ce Vénus et Adam aux accents tragiques et… ésotériques. « Ça renvoie au monde de mon enfance, en Guadeloupe : j’aime m’intéresser à l’altérité. » On vous le disait : un philosophe danseur…
Julien Canaux
Photo: Sebastien Dolidon
http://www.zone-litteraire.com/portraits.php?art_id=1211