— Par Yves-Léopold Monthieux —
Le renoncement de la Guadeloupe et de la Guyane à s’unir pour quoi que ce soit à la Martinique a connu sa première expression dans leur refus caractérisé de participer à la Grande région Antilles-Guyane envisagée il y a environ 50 ans. La Martinique y était seule favorable et elle avait raison, selon moi. La création de plusieurs institutions ou organismes régionaux pouvait paraître aller en ce sens. Mais il est évident que les autres collectivités craignaient que le statut de chef de file de la Martinique ne se prolonge dans la Grande région. Ce qui était d’autant plus insupportable que la conscience d’être des « pays » s’opposait à toute perte de souveraineté d’un DFA par rapport à l’autre. On a retrouvé le même réflexe quand se sont présentées les dissensions à l’égard de l’académie et de l’université.
Il fallait être terriblement naïf et aveugle pour ne pas constater la volonté de la Guadeloupe d’avoir la haute main sur l’Université des Antilles et de se mettre en position de force pour créer sa propre université, au besoin par la mutilation du pôle Martinique. Elle n’en a pas fait mystère, les universitaires et les politiques étant animés de ce souci constant. Répétons-le, crier « au loup » ne suffit pas ! C’est une faute pour la Martinique de n’avoir pas anticipé l’évènement. Faute de toute la collectivité, politique, économique et, bien entendu, universitaire. Elle se trouve en situation défensive, comme au temps de la rupture guyanaise. Faisons attention que la poursuite des départs des étudiants ne conduise à envisager la suppression pure et simple de l’université dans les Antilles et hypothèque la création d’une université de la Martinique.
D’une façon générale, dans les rapports des deux îles, les différentes instances de la Guadeloupe, sont toujours en mode de compétition, ou même de domination, alors que la Martinique présente un sentiment de flegme et de fair-play qui peut apparaître comme de la suffisance et de la condescendance. On peut toujours piquer la Martinique, elle ne crie jamais. Cela peut être insupportable pour celui qui pique. Par ailleurs, on verrait mal un leader politique martiniquais se rendant en Gwada faire la leçon comme le firent en Matinino Lucette Michaux-Chevry et, avec plus d’élégance, Victorin Lurel qui a fait élire un Martiniquais comme député européen.
Seul le jacobinisme français pouvait éviter la balkanisation de l’entité Antilles-Guyane. Or, depuis la décentralisation et le renoncement de l’État d’intervenir dans nos bisbilles (pour ne pas être accusé de néocolonialisme), chacun est devenu un peu maître de soi et tient à se distinguer des autres. Ainsi le succès des idées d’indépendance connaît sa seule réalité dans les rapports entre DFA.
Aujourd’hui on observe que l’État renonce à utiliser ses pouvoirs et la justice à aller au bout des « affaires ». On le regrette pour le CEREGMIA, Serge Letchimy le dénonce pour ses histoires de budget de l’ex-région, tandis que l’affaire du Green Parrot a pour origine un manquement voulu de l’État régalien. Dès les années 2005 j’écrivais que le pouvoir régalien était un leurre. On disait alors que la réforme de statut ne concernerait pas le pouvoir régalien. Ce n’était pas la peine car l’inconsistance de la nébuleuse régalienne est peut-être ce qui fonctionne le mieux en ce moment en Martinique. Sauf pour éviter qu’il y ait du sang. On envoie alors les forces nécessaires comme en 2009.
Sinon, le préfet laisse faire, les décisions litigieuses des collectivités ne sont pas déférées devant le Tribunal administratif. Mais bien plus que le pouvoir de réaliser des projets, n’est-ce pas ce que souhaite la Martinique ? Que l’État ne se mêle pas trop de nos affaires ?
Fort-de-France, le 5 février 2019
Yves-Léopold MONTHIEUX