— Par Michel Herland —
Césaire est mort à 95 ans en 2008. Pour les lycéens martiniquais âgés aujourd’hui de quinze ans Césaire fait partie du monde d’avant, celui d’avant leur naissance, lorsque le poète-député-maire commandait de près ou de loin l’actualité de l’île. Le livre qui vient de paraître n’a pas été écrit spécialement à leur intention, il vise sûrement un plus large public. Il n’empêche que sa place paraît toute trouvée dans les chaumières martiniquaises – comme celles de la diaspora – pour apprendre aux jeunes générations qui fut ce grand homme qui a tellement compté localement.
Césaire fut également très important pour nombre d’intellectuels africains qui l’ont découvert par le biais soit du Discours sur le colonialisme soit de la poésie ou du théâtre. On ne peut que souhaiter que cet ouvrage bénéficie du programme des publications subventionnées à destination de l’Afrique francophone et qu’il y soit largement diffusé.
On ne cherchera pas dans ce livre bref, à la typographie aérée, avec des illustrations en pleine page une analyse un tant soit peu complète de la vie de Césaire, a fortiori de son œuvre. Pour cela d’autres sources existent, à commencer par l’édition critique coordonnée par James Arnold (1) et la grande biographie de Kora Véron (2).
Cet Aimé Césaire qui prend parfois l’allure d’un catéchisme, s’il ne dissimule pas tout à fait ce qu’il peut y avoir d’ambigu dans la trajectoire de Césaire procède à cet égard par allusions ou de très brèves notations. Concernant par exemple les relations avec Suzanne, l’épouse et la mère de ses six enfants, on nous dit simplement qu’elle l’a quitté, « épuisée par trop de renoncements, de sacrifices » (p. 118). Autre exemple, la contradiction entre les critiques virulentes de la colonisation en général et des défaillances de l’État en Martinique en particulier avec le maintien de cette dernière dans le giron de la France est expliquée en deux lignes : « La Martinique n’est pas prête et Haïti a douloureusement montré que les Antilles ne manquaient pas de dictateurs en puissance » (p. 102). Concernant, à nouveau, l’Etat français, les auteurs prêtent à Césaire une ultime pensée « Sans doute s’est-il dit […] qu’il avait la chance de mourir dans des conditions que l’Etat permettait », manière de laisser entendre que, tout compte fait, la dépendance envers la France n’était pas si mauvaise.
Le livre contient ainsi des pensées attribuées à Césaire, soit comme ci-dessus sur le mode indirect, soit directement sous la forme de soliloques ou de dialogues inventés. Si le procédé n’a rien de répréhensible s’agissant d’un récit, il ne faudrait pas que des lecteurs non avertis prennent ces propos pour parole d’évangile.
Le refus d’entrer plus à fond dans les sujets qui fâchent transparaît dans des remarques à l’emporte-pièce comme celle visant un Raphaël Confiant qui « se débat avec autant d’agressivité que de mauvaise foi pour abattre la statue de Césaire » (p. 128).
D’autres remarques, bien que moins virulentes, paraissent sujettes à caution. Le couple Césaire avait-il été aussi déçu qu’il est écrit par les poèmes de Breton sur la Martinique ? Même interrogation à propos du titre de la préface de Breton au Cahier du retour au pays natal, « Un grand poète noir » qui aurait fait bondir Damas et Fanon (p. 92). Que dire enfin du refus qui est prêtée à Césaire de toute tentative pour découvrir le « sens caché » des énoncés souvent abscons de ses poèmes ? Le fait qu’il ait entretenu des relations suivies avec les érudits qui se sont attelés à ce travail d’interprétation ne plaide pas dans ce sens.
On l’aura compris, cet Aimé Césaire – vivre debout est un récit sans prétention scientifique, même s’il sort de la plume de spécialistes, rédigé de la manière la plus accessible, illustré de surcroît, destiné à faire connaître aux jeunes générations le parcours, dans ses grandes lignes, d’un « homme parmi tous les hommes » mais qui ne s’en différenciait pas moins par son génie poétique. A ce titre cet ouvrage a sa place dans tous les « CDI » des collèges et lycées (pas uniquement ceux de Martinique).
Nicole Beleau et Anne Douaire-Banny, illustrations de Claire Malary, Aimé Césaire – Vivre debout, Paris, Flammarion, 2022, 145 p., 20 €.
(1) Aimé Césaire, Poésie, Théâtre, Essais et discours. Édition critique coordonnée par Albert James Arnold, Paris, Présence Africaine et CNRS Editions, 2013, 1806 p., 35€.
(2) Kora Véron, Aimé Césaire, Paris, Seuil – Biographie, 2021, 864 p., 32€.