Une utile fréquentation

— Par Christian Louise-Alexandrine —

daniel_bensaidEn France et ailleurs dans le monde, les amis de Daniel Bensaïd (dont je ne suis point) évoqueront sans aucun doute ses soixante-dix ans, puisqu’il est né le 25 mars 1946.

Décédé en janvier 2010, ce révolutionnaire français, professeur de philosophie à l’Université, est à l’évidence un adepte du « marxisme sans sottises » si l’on en juge par son souci permanent de tenir un discours cohérent, à partir des écrits et des pratiques de Marx, Lénine, Trotski, Blanqui, Péguy, Benjamin et de la plupart des penseurs soucieux de proposer une critique informée du fonctionnement et des méfaits du capitalisme et de proposer des politiques d’émancipation en se plaçant systématiquement du point de vue des dominés.

En Martinique, en 2016, et ceci depuis une trentaine d’années, le nationalisme culturel et son frère jumeau le nombrilisme interdisent de convoquer un penseur comme Bensaïd par ceux qui veulent comprendre ce qui se passe dans le monde, et donc dans ce pays..

Or, le site internet danielbensaid.org qui permet de découvrir l’ampleur de la production intellectuelle du « militant philosophe », sera d’une fréquentation très utile pour celui qui, tout en n’étant pas un révolutionnaire, souhaite un changement social réel à la Martinique., c’est-à-dire une élévation effective du niveau de vie des victimes de notre société et une amélioration des conditions de vie du plus grand nombre dans le cadre d’une démocratie moderne.

Parmi les nombreuses analyses écrites à l’intention des révolutionnaires, ce que Bensaîd dit à propos de l’Histoire devrait intéresser tous les citoyens plus ou moins désorientés sur le plan politique et qui ne veulent pas sombrer dans le nihilisme en cessant de croire en la possibilité de politiques d’émancipation

Il explique que « Marx déconstruit la notion d’Histoire universelle », que « chaque présent offre une pluralité de développements possibles » ce qui signifie que « l’Histoire ne connait pas de sens unique ». Surtout, s’appuyant sur Marx, il explique que « l’histoire présente et à venir n’est pas le but de l’histoire passée »

Rhéteur hors-pair particulièrement éblouissant, citateur habile des écrits de Marx qu’il maîtrise au plus haut point, Bensaîd donne l’impression qu’il croit en la possibilité de faire partager à ses lecteurs l’idée pour le moins saugrenue que Lénine et le parti bolchevik, s’autorisant des analyses de Karl Marx, étaient dans le vrai ( révolutionnaire s’entend) en organisant une révolution socialiste dans un pays peuplé pour l’essentiel de paysans, et ceci, contre l’avis de la très grand majorité des bons connaisseurs de Marx

.

Ceci dit, Bensaîd a raison de considérer que Marx demeure une référence utile pour comprendre le fonctionnement de capitalisme mondialisé. Son Marx l’intempestif Grandeurs et misères d’une aventure critique, publié aux Editions Fayard en 1995 le prouve amplement.i

Quand ses amis, dans la Revue lignes, N° 32 en mai 2010 et dans le N° 15 des Cahiers critiques de philosophie, janvier 2016, lui rendent hommage, le lecteur martiniquais se rend compte immédiatement qu’il ne s’agit point d’hagiographies, mais de textes qui aident à mieux apprécier la contribution de Bensaîd à une meilleure compréhension des enjeux de la période que nous vivons.

Que faire pour changer la société martiniquaise dont le taux d’urbanisation voisine les 96% ?

Quelles politiques d’émancipation proposer aux citoyens ?

Pour répondre aux questions posées ci-dessus il est nécessaire de disposer de théories fiables.

Fanon, mort en 1961 peut nous aider. Césaire aussi.

Faut-il encore que les analyses incontournables des références martiniquaises en ces matières puissent être complétées, améliorées, et, un penseur comme Bensaîd, qui était surtout un passeur, peut-être d’une très grande utilité, dans un pays où sévissent les amateurs de « Loi de l’Histoire », « d’Etapes nécessaires  » dans l’histoire d’un pays de « Missions » confiées par « l’Histoire » pour atteindre un « But » fixé lui aussi par « l’Histoire ».

Le 25 mars 2016

CLA

i Les citations ci-dessus sont extraites de ce livre