— Par Roland Sabra —
Pourquoi faut-il accepter de payer un peu plus cher sa place de cinéma ?
Les parlementaires des Antilles et de la Guyane ne doivent aller très souvent au cinéma là où ils ont été élus ; à moins que leurs gouts en la matière épousent l’indigence programmatique de leur région d’élection. Ils ont été jusqu’à présent majoritairement hostiles à doter leur cher pays des moyens de s’émanciper de la tutelle que fait peser sur les amateurs de cinéma le monopole de distribution de films que possède une famille martiniquaise non seulement sur la Martinique mais aussi en Guadeloupe et en Guyane. Parler d’indigence est en-dessous de la réalité. Il s’agit en fait d’un processus d’acculturation de la jeunesse des ces régions, plus précisément d’un travail d’américanisation, de diffusion des normes et valeurs de la société étasunienne, une valorisation de la violence des rapports sociaux, de l’individualisme, le culte de l’argent facile comme seul moyen de réalisation. Comme si la lutte contre l’assimilation consistait à se choisir un autre maître plus puissant que celui que l’on combat. Les distributeurs de film, il faudrait écrire LE distributeur de films de la zone n’est pas responsable de la montée de la violence, mais les films qu’il choisit légitiment en en faisant un objet « artistique », le recours à la violence pour des jeunes en situation de désespérance si ce n’est en perdition (60% de chômeurs chez les 18-25 ans).
Il existe des moyens de soutenir un autre cinéma, un cinéma de la diversité, un cinéma du tout-monde, un cinéma ancré dans la réalité caribéenne. C’est en autre ce que permettrait la TSA, la Taxe spéciale additionnelle (TSA) qui est une taxe sur le prix des billets d’entrées dans les salles de cinéma en France. Elle s’élève à 10,72 %, dans l’hexagone du prix du billet sur l’ensemble des salles et des films visionnés et alimente le compte de soutien géré par le Centre national de la cinématographie (CNC). Cet argent est redistribué aux acteurs de la filière, producteurs, cinéastes et distributeurs selon des critères variables. Ainsi les petites salles et/ou celles qui promeuvent une programmation originale, de qualité, respectueuse de la diversité reçoivent plus que les complexes américanisés.
Une réunion s’est tenue le mardi 8 novembre au Palais Bourbon à l’initiative de deux associations l’ARP ( Auteurs Réalisateurs Producteurs) et de les RUM (Regards Ultra Marins) avec les parlementaires des Antilles et de la Guyane pour informer les élus de la nécessité de sortir du régime d’exception qui s’applique à nos régions en matière de soutien au cinéma local. Daniel Robin, conseiller régional, Président de la commission éducation et formation professionnelle, Président de la commission ad hoc évaluation et prospective, et par ailleurs Directeur Général du Circuit Elizé (Madiana entre autres) était bien seul à formuler des réticences, c’est un euphémisme, face à l’installation de la TSA. Il faut dire que ce statut d’exception évite au Circuit Elizé d’avoir à fournir des statistiques précises sur la fréquentation de ses salles et sur ses recettes. Ainsi on a pu entendre déclarer que « La rue Case nègre » le film d’Euzhan Palcy avait fait aux Antilles 125 968 entrées contre un peu plus de 12 000 000 dans l’hexagone !! Des doutes ont aussitôt été formulés quant à la véracité des chiffres antillais. Cette absence de transparence est d’autant plus nuisible aux artistes qu’ils sont dans l’impossibilité de faire valoir leurs droits intellectuels sur leurs œuvres.
Chantal Berthelot , Christiane Taubira, Serge Letchimy, Alfred Almond ont semblé favorables à l’application de la TSA sous réserves de modalités spécifiques à nos pays. Plus intéressant à la sortie de la réunion le Président de la Région Martinique, ( Serge Letchimy) interrogé sur l’existence d’un projet de salle Art-et-Essai à Fort-de-France s’est tourné vers Daniel Robin en tant que Délégué Général du Circuit Elizé pour lui demander si son groupe, moyennant un soutien de la Région, accepterait de mettre en œuvre une telle réalisation. Et Daniel Robin de dire « Oui sans problème ! »
Oui mais voilà, il existe un autre projet de réactivation du cinéma Le Pax de Fort-de France, animé par Willy Rameau, autour de Trois salles consacrées justement elles aussi au cinéma Art-et-Essai, au cinéma de la diversité du monde et donc par conséquence au cinéma de la Caraïbe. Serge Letchimy a semblé un peu partagé entre le soutien à un projet, celui de Rameau, qui s’inscrit dans le cadre d’une volonté de revitalisation du centre ville de Fort-de-France, et le soutien au directeur du Circuit Elizé, par ailleurs, mais est-ce un hasard, secrétaire djoint du PPM et Vice-Président du conseil régional !
Enfin promesse a été faite de concourir à la réalisation d’une salle Art-et-Essai en Martinique. Que nos élus se rassurent les cinéphiles, sauront avant 2014 leur rafraîchir la mémoire s’il le fallait, en ce qui concerne cette promesse d’offrir à la population martiniquaise un cinéma de qualité.
R.S. 14/11/2011