Jusqu’au 30 octobre 2020 au Boko Concept, chemin Canal à Ducos
— Par Fernand Tiburce Fortuné —
Trees are serene and offer you peace.
Trust them.
Véronique Robbaz
(08/10/2020)
Véronique Robbaz laisse derrière elle des années d’enseignement à l’Université des Antilles-Guyane, où elle a partagé « La Littérature Nord Américaine » (North american literature) avec des générations d’étudiants antillais, pour prendre le pinceau et s’adonner à ce qui, davantage qu’un passetemps, est une véritable passion, la peinture sur toile.
Elle a été à bonne école puisque élève de René Louise l’un des leaders du groupe de plasticiens martiniquais « Fwomajé ». Il faut aussi citer, et elle leur est beaucoup redevable, Hervé Beuze, Joëlle Pierre-Paul et Sophie Donatien
Pour sa première exposition, pour se projeter en pleine lumière, elle a choisi un thème difficile, car il lui faut éviter deux écueils majeurs, la répétition et l’ennui : Les Arbres.
Et pourquoi les arbres? Les arbres de son environnement martiniquais? Véronique Robbaz nous dit « qu’ils sont sereins et source de paix. Qu’ils sont dignes de confiance ». Et elle nous confie qu’ils lui étaient, dans une certaine mesure, indifférents jusqu’à ce qu’elle organise sa palette et choisisse ses pinceaux. – « C’est avec la peinture que j’ai découvert les arbres ».
Ce fut donc, bien que tardive, une quasi révélation, un enchantement, comme un coup de foudre, comme une vérité cachée en elle, profondément, et qui se mue soudain en affinité. Alors, frêles ou immenses, chargés de sève ou secs, les racines tentaculaires ou fragiles, tous ces arbres, elle les a saisis dans les verts, les gris, (peu de rouge) les dégradés de vert ou de jaune et elle ne les a plus quittés.
Ces arbres sont anonymes, juste numérotés, comme si la parole devenait inutile et qu’il importait peu de les personnifier au-delà même du titre de l’exposition, « Portraits d’arbres ». La définition commune du portrait, « un genre graphique dont le but est de représenter de façon ressemblante une personne », laisse penser que la complicité, la connivence sont telles que ces arbres sont vécus comme des personnages attachants, dont il nous faut partager d’instinct, sans calcul savant , la beauté, la force et l’amicale présence. Ils nous ouvrent les bras.
Vingt tableaux (peinture à l’huile) sont ainsi offerts à notre vue, vingt arbres dans tous leurs états, toutes leurs couleurs, tout leur éclat et toute leur histoire.
Il est plutôt rare de nos jours que nos artistes utilisent la peinture à l’huile, ils privilégient en général la peinture acrylique. Il était donc intéressant de demander à l’artiste pourquoi ce choix : « Concernant mon choix de la peinture à l’huile la raison en est assez simple. Contrairement à l’acrylique qui sèche très rapidement, l’huile requiert du temps et donc de la patience. Le peintre peut revenir sur son travail, corriger ou modifier le tableau jusqu’à la dernière touche du pinceau.
De plus les couleurs une fois posées vont travailler ensemble et de manière toujours intéressante.
Le long temps de l’huile est, toutes proportions gardées, en accord avec la lente croissance de l’arbre ».
Ce qui frappe tout de suite, c’est que nous ne sommes pas devant des « Natures mortes » au sens plastique et habituel de ces termes. Ces arbres sont bien vivants et du haut de leur faîtage, au ras de leurs racines, fiers de leur tronc, ils semblent nous observer comme pour nous inviter au dialogue.
Pour leur majesté, les toiles sont verticales et appuient la beauté et l’insolence des géants qui veulent conquérir le ciel ; pour les définir comme centres incontournables dans le paysage qu’ils dominent, ces toiles se tournent vers l’horizontalité. Et pour montrer leur source de vie et leur côté tellurique les racines demandent à occuper tout l’espace, nous laissant hésitants entre ciel et terre.
Ces arbres ne sont pas seuls et c’est là que tout le talent de Véronique Robbaz va se déployer, et s’ouvrir sur une esthétique bien personnelle.
Les arbres ne sont pas seuls car c’est bien à une promenade en forêt que nous sommes conviés. La nature est là, vivante, multiple pour accueillir et accompagner les arbres-rois. Chaque tableau semble avoir déjà été rencontré tout le long d’un chemin, au détour d’une clairière, à l’orée d’un bois. Et c’est la magie du détail qui nous donne ce sentiment. Les arbustes, les fleurs discrètes, la feuille que l’on devine frémissant sous un doux alizé, la liane tourmentée qui enveloppe l’arbre pour le rehausser encore de son prestige, cet alpinia rose discret dans un coin, cette calebasse bien présente au milieu du tableau qui chante sa rondeur, capte bien notre regard, mais ne refuse pas notre accès au sentier – en arrière-plan- qu’elle ne peut cacher et qui mène peut-être à un kiosque baigné d’une douce lumière.
Nous serions près du pointillisme tant la peinture de Véronique Robbaz tend à la perfection dans la peinture du détail, certainement un travail de patience et de respect pour la sérénité et la paix qu’elle recherche en compagnie de ces (ses) arbres.
L’arbre est source de création, est source de poésie, est source de réflexion philosophique. C’est pourquoi, Véronique Robbaz quand elle se retrouve avec elle-même, choisit l’Arbre et sa grandeur, l’arbre et sa beauté comme la référence à la vie. Changer intérieurement en plongeant dans l’intimité des arbres, les peindre comme on leur ferait une étreinte. Les peindre comme un chuchotement. Chaque coup de pinceau, chaque couleur est une touche délicate qui les remercie pour la confiance qu’elle a en eux.
Le pinceau de Véronique Robbaz n’est pas agressif, tout comme la nature, les paysages et les arbres qu’elle peint. La lumière douce est bien présente, mais comme celle que l’on espère découvrir, celle que l’on a connue ce jour-là, près de cet arbre-là, dont l’écorce doux-velours a enchanté la main. Cet arbre-là, ce jour-là, dont l’ombre a protégé un baiser, peut-être.
Véronique Robbaz nous présente en effet des amis, ses amis. C’est la vie qui est là, la joie, la jubilation de la création, même si la luxuriance est mesurée, même si la lumière est tamisée, même si le ciel est gris et que les oiseaux ne chantent pas. Les arbres sont là, forts, indestructibles poto-mitan. Mémoire et patrimoines, ils parent et protègent notre environnement et nous rassurent, si nous le voulons fortement, qu’un vivre ensemble différent est possible.
Fernand Tiburce Fortuné
Ancien Président du groupe « Fwomajé »
Ducos, le 10/10/2020