Une pression financière record sur les pays en développement

— Par Jean Samblé —

En 2023, les pays en développement ont été confrontés à une situation de pression financière sans précédent, avec des dépenses record pour le service de leur dette extérieure, s’élevant à 1 400 milliards de dollars. Cette hausse est due en grande partie aux taux d’intérêt élevés qui ont atteint des niveaux inédits depuis deux décennies. Selon le rapport de la Banque mondiale, cette situation a frappé particulièrement les pays les plus pauvres et vulnérables, ceux éligibles aux prêts de l’Association internationale de développement (IDA), l’agence de la Banque mondiale qui prête aux nations les plus endettées. En 2023, ces pays ont payé 96,2 milliards de dollars pour le service de leur dette extérieure, un montant également record. Sur cette somme, près de 35 milliards de dollars étaient consacrés aux seuls intérêts, un chiffre jamais atteint auparavant.

L’impact des taux d’intérêt élevés

Les données révélées par la Banque mondiale montrent que les pays les plus pauvres, en raison des taux d’intérêt élevés, ont vu leurs charges d’intérêts atteindre des niveaux historiques. Les taux appliqués sur les prêts des créanciers publics ont doublé, excédant désormais 4 %. Les créanciers privés ont, quant à eux, imposé des taux encore plus élevés, atteignant 6 %, un niveau qu’on n’avait pas observé depuis 15 ans. Bien que certains pays développés aient commencé à observer une baisse des taux d’intérêt, la Banque mondiale souligne que les taux mondiaux devraient rester au-dessus des niveaux d’avant la pandémie de COVID-19, maintenant ainsi une pression importante sur les finances des pays en développement.

La situation des pays les plus vulnérables

Cette forte hausse des charges d’intérêt a eu des répercussions dramatiques sur les budgets des pays en développement, limitant leurs capacités à financer des secteurs essentiels tels que la santé, l’éducation et l’environnement. En particulier, les pays éligibles à l’IDA, qui sont déjà confrontés à des défis économiques majeurs, se trouvent dans une situation encore plus précaire. Bien que le remboursement du principal de la dette ait légèrement diminué (baisse de 8 % pour atteindre 61,6 milliards de dollars en 2023), les charges d’intérêt ont explosé, atteignant 34,6 milliards de dollars, soit près de quatre fois plus qu’il y a dix ans. Ces coûts représentent en moyenne près de 6 % des recettes d’exportation des pays de l’IDA, un pourcentage qui n’avait pas été observé depuis 1999, et qui, dans certains cas, peut atteindre jusqu’à 38 % des exportations nationales.

L’absence des créanciers privés et le rôle des institutions multilatérales

Face à cette situation dramatique, les créanciers privés ont progressivement cessé de prêter aux pays les plus vulnérables, ce qui a laissé place aux institutions multilatérales, comme la Banque mondiale, pour jouer un rôle de soutien crucial. Ces institutions, bien qu’elles n’aient pas été conçues pour cela, sont devenues des prêteurs en dernier ressort, une fonction qui, selon la Banque mondiale, a souligné l’inefficacité du système financier mondial actuel. Depuis 2022, la Banque mondiale et d’autres institutions multilatérales ont fourni des prêts aux pays de l’IDA pour compenser le manque de financement privé, injectant près de 51 milliards de dollars supplémentaires entre 2022 et 2023. La Banque mondiale a financé environ un tiers de cette somme, soit 28,1 milliards de dollars, pour soutenir ces économies en difficulté. Ces prêts multilatéraux ont permis aux pays de continuer à honorer une partie de leur dette extérieure, mais ont également alourdi leur endettement global, créant un cercle vicieux de dépendance à l’égard des institutions internationales.

La transparence et la gestion de la dette

Le rapport de la Banque mondiale met également en évidence un problème de transparence dans la gestion de la dette dans de nombreux pays en développement. Cependant, des progrès ont été réalisés : en 2023, près de 70 % des pays éligibles à l’IDA ont publié des informations sur leur dette publique, une amélioration de 20 points par rapport à 2020. Cette transparence est cruciale pour attirer de nouveaux investissements, réduire la corruption et éviter des crises de la dette coûteuses à l’avenir. Haishan Fu, statisticien en chef de la Banque mondiale, a souligné l’importance de la collecte et de la publication des données relatives à la dette : « Des données exhaustives sur les engagements des gouvernements peuvent favoriser de nouveaux investissements, réduire la corruption et prévenir de coûteuses crises de la dette. »

Un système financier mondial défaillant

Indermit Gill, économiste en chef de la Banque mondiale, a également évoqué la situation inquiétante des économies les plus pauvres : « À l’exception des fonds de la Banque mondiale et d’autres institutions multilatérales, l’argent sort des économies pauvres, alors qu’il devrait y entrer. » Selon lui, cela révèle un dysfonctionnement majeur du système de financement global, où les flux financiers devraient soutenir les pays les plus vulnérables, mais où, au contraire, l’argent continue de fuir vers les créanciers étrangers. Ce phénomène accentue les inégalités mondiales et compromet les efforts de développement à long terme des pays en développement.

Une réforme du système financier mondial nécessaire

Les pays en développement, et plus particulièrement ceux éligibles aux prêts de l’IDA, sont ainsi pris dans un étau économique où les coûts de la dette extérieure grèvent une grande partie de leurs ressources. La situation est d’autant plus critique que la pandémie de COVID-19 a déjà exacerbé leur vulnérabilité économique, et que la flambée des taux d’intérêt mondiaux rend la situation encore plus complexe à redresser. En fin de compte, le rapport de la Banque mondiale appelle à une réforme du système financier mondial, afin de permettre aux pays les plus pauvres de sortir de ce cycle de dépendance et d’endettement, et de garantir que des ressources suffisantes soient allouées aux priorités de développement essentielles, comme la santé et l’éducation.