La chorégraphe de Johannesburg Dada Masilo s’empare du chef-d’œuvre de Tchaïkovski avec sa compagnie forte de douze interprètes, très dynamiques, qui l’habillent de neuf.
Dans Swan Lake, au théâtre du Rond-Point, la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo, vingt-huit ans, remet sur le métier à sa façon le Lac des cygnes, de Piotr Ilitch Tchaïkovski, avec sa compagnie forte de douze interprètes. Chorégraphe et danseuse issue de la Dance Factory de Johannesburg, Dada Masilo ne se contente pas de porter un regard critique sur ce ballet classique entré au patrimoine corporel. Elle mêle à la perfection les codes classiques et une danse suggestive à base de mouvements purgés de tout académisme.
un mélange des genres
Sa troupe hyperdynamique excelle dans ce mélange des genres. Tous sont pieds nus et en tutu (torse nu pour les hommes). Ils ont du duvet sur la tête. Les gestes de la tradition – bras en arceau au-dessus du crâne, gracieux battements d’aile – se sont musclés et comme africanisés. Les femmes remuent des fesses. Fini les pointes obligées du ballet d’origine, où les danseuses réalisaient des lignes obliques dessinées par les pas contrebalancés par de vifs entrechats suivis de pointes aussitôt brisées. Les pieds, libérés des chaussons, se livrent à des pas extrêmement rapides assortis de petits coups portés au sol avec le talon. Une boiterie d’animal blessé suggère l’univers bancal dans lequel chacun ici se meut. Ne s’agit-il pas toujours, même sous cette forme, d’une créature humaine qui, métamorphosée en cygne, se heurte à l’amour impossible ? Le prince Siegfried, contraint d’épouser Odette, peine à sortir des jupes de sa mère, reine étouffante jouée par la seule interprète blanche de la troupe, laquelle multiplie à dessein les adresses au public en anglais. On songe à une sorte de Robyn Orlin, autre chorégraphe sud-africaine de renom, qui intervient en personne au milieu de ses œuvres dans le but ironique de briser le récit linéaire. Un jeune homme, censé jouer Siegfried, se laisse fasciner par un cygne littéralement black, auquel il ne peut résister.
des sonorités zouloues
Tous les anciens préjugés sont battus en brèche dans Swan Lake, où s’exposent aussi bien le problème du sida, qui fait des ravages en Afrique du Sud, que l’homophobie et la délicate question des genres. Les épreuves traversées par les interprètes dans le ballet de Tchaïkovski sont ici vécues en rythme avec des danses et des sonorités zouloue s, où les femmes se mettent à crier à vue. La danse inventée par Dada Masilo est parvenue au stade de son propre miroir dans lequel elle se contemple à plaisir pour mieux rebondir plus loin.
Swan Lake, de Dada Masilo, pièce pour douze danseurs d’après le Lac des cygnes, jusqu’au 6 octobre, à 18 h 30, au Théâtre du Rond-Point. Le dimanche à 15 heures. Réservation au 01 44 95 98 21.
Muriel Steinmetz
http://www.humanite.fr/culture/une-plongee-dans-un-lac-des-cygnes-africain-548950