Un combat citoyen contre la vie chère
— Par Jan Samblé —
Le combat contre la vie chère en Martinique a franchi un tournant décisif avec le dépôt d’une plainte historique contre la grande distribution, déposée le 14 janvier 2025 devant le tribunal judiciaire de Fort-de-France. L’initiative, portée par quatre lanceurs d’alerte, dénonce des pratiques anticoncurrentielles et un abus de position dominante, qui impactent directement les prix des produits dans les territoires ultramarins. Ce recours inédit, qualifié de citoyen, est désormais ouvert à tous ceux qui se sentent victimes de la cherté de la vie dans la région, une démarche qui pourrait avoir un poids décisif sur les suites judiciaires de l’affaire.
Une plainte ouverte à tous les citoyens
L’avocat des lanceurs d’alerte, Me Renaud Portejoie, a annoncé que cette plainte ne se limiterait pas aux initiateurs, mais serait accessible à tous les citoyens. Chaque Martiniquais peut désormais s’associer à cette action collective en remplissant un formulaire disponible sur la plateforme contrelaviechere.fr. Ce geste simple et gratuit pourrait influer sur le déroulement de la procédure judiciaire et donner plus de force à la revendication de transparence sur les pratiques des acteurs économiques locaux, notamment dans les secteurs clés de la grande distribution et de l’automobile.
L’objectif est clair : ouvrir une enquête judiciaire pour comprendre les raisons profondes des prix élevés qui frappent le quotidien des habitants des Antilles. Cette action citoyenne a pris un élan particulier après la publication d’une enquête du journal Libération, qui met en lumière les marges considérables de certains grands groupes de distribution, notamment le Groupe Bernard Hayot (GBH), accusé de pratiques d’opacité financière et de domination sur le marché.
Un système opaque et une cherté de la vie persistante
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en Martinique, l’alimentation est 40 % plus chère qu’en France hexagonale, un phénomène largement attribué aux nombreux intermédiaires qui prennent part à la chaîne d’approvisionnement des produits importés. Ces frais logistiques, combinés à la gestion oligopolistique des grandes surfaces, permettent aux distributeurs d’imposer leurs prix sans réelle transparence. À l’heure actuelle, il n’existe aucune obligation pour ces entreprises de publier leurs comptes, ce qui soulève de nombreuses interrogations sur la véritable ampleur de leurs marges bénéficiaires.
En outre, la taxe sur les produits importés, l’octroi de mer, et les sur-rémunérations des fonctionnaires exacerbent encore la situation. Ces facteurs, conjugués à une forte dépendance aux produits importés, expliquent pourquoi 87 % des produits alimentaires en Martinique viennent de l’extérieur, contribuant ainsi à des prix bien plus élevés que ceux pratiqués dans l’Hexagone.
GBH répond aux accusations
Face à ces accusations, le groupe Bernard Hayot a réagi en qualifiant les allégations de « infondées » et de « approximatives ». Le groupe a tenu à préciser qu’il n’occupait pas une position dominante sur le marché et que plusieurs enquêtes menées par les autorités de la concurrence avaient validé son mode de fonctionnement. GBH a aussi insinué que ses détracteurs agissaient par « vengeance », mais ces arguments n’ont pas dissuadé les lanceurs d’alerte de poursuivre leur combat.
Le groupe, déjà assigné en justice pour défaut de publication de ses comptes, pourrait voir cette nouvelle plainte citoyenne renforcer les appels à une régulation plus stricte des pratiques commerciales locales. L’issue de cette procédure pourrait avoir un impact majeur sur le pouvoir d’achat des Martiniquais et sur la manière dont sont régulés les marchés ultramarins.
Un appel à la solidarité citoyenne
Cette plainte représente bien plus qu’une action judiciaire ; elle incarne un appel à la solidarité citoyenne dans la lutte contre un système qui profite à quelques-uns, au détriment de la majorité. En permettant à chaque Martiniquais de se joindre à cette initiative, les lanceurs d’alerte espèrent envoyer un message fort aux autorités : le combat pour la transparence et la justice économique doit être porté par tous, pour que la vie chère cesse d’être un fardeau quotidien.
Les prochains mois s’annoncent cruciaux pour l’avenir économique des Antilles, et la procédure judiciaire pourrait bien marquer un tournant dans la régulation des grandes surfaces et la gestion des prix dans les départements d’outre-mer.
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GBH réagit aux accusations et se défend
Le groupe GBH a réagi vigoureusement aux accusations portées contre lui dans une plainte dénonçant des pratiques anticoncurrentielles et des abus de position dominante. Dans un communiqué publié le 28 janvier 2025, l’entreprise martiniquaise qualifie les critiques récentes de « campagne de déstabilisation d’une ampleur sans précédent ». Selon le groupe, ces accusations reposent sur des chiffres erronés et des conclusions fallacieuses, qu’il se doit de contester fermement.
L’affaire trouve son origine dans un article du journal Libération, qui a mis en lumière les accusations à l’encontre de GBH, le premier groupe privé de Martinique. Ce dernier, spécialisé dans la grande distribution et d’autres secteurs clés de l’économie locale, est accusé d’anti-concurrence, notamment dans le cadre du débat sur la vie chère en outre-mer. En réponse, GBH affirme n’avoir jamais enfreint la loi et insiste sur le fait qu’il est l’une des entreprises les plus contrôlées par les autorités publiques en matière fiscale, sociale et concurrentielle.
Une gestion responsable et une concurrence vive
Dans son communiqué, GBH réfute également les accusations d’opacité financière. Le groupe précise avoir toujours respecté ses obligations fiscales et a récemment déposé ses comptes sociaux et consolidés pour les cinq dernières années au tribunal de commerce. GBH justifie le délai de soumission des documents financiers par le besoin de protéger ses données sensibles face à la concurrence, notamment sur un marché insulaire où les informations peuvent être exploitées par des rivaux.
En ce qui concerne les accusations de pratiques anticoncurrentielles, GBH rappelle que la concurrence sur ses marchés, particulièrement dans la grande distribution et l’automobile, est « très vive ». Selon le groupe, c’est la qualité du service et des prix compétitifs qui expliquent la préférence des consommateurs pour leurs enseignes, plutôt que des pratiques dominantes ou monopolistiques.
La question des prix et des frais d’acheminement
Une autre question centrale du débat concerne les prix élevés en Martinique et, plus largement, dans les DOM. GBH souligne que le renchérissement du coût de la vie est largement dû aux frais d’acheminement des marchandises, une réalité bien documentée dans les rapports de l’Autorité de la concurrence. Le groupe soutient que ces frais sont l’une des causes majeures du différentiel de prix entre la Martinique et l’Hexagone. Il insiste sur le fait que, malgré cette contrainte, son objectif reste de proposer des produits de qualité au meilleur prix possible, tout en soutenant que les attaques actuelles contre les entreprises ne feront pas baisser les prix.
Une plainte pour dénonciation calomnieuse
Face à ce qu’il qualifie de dénigrement, GBH annonce son intention de déposer une plainte contre X pour dénonciation calomnieuse. L’entreprise déplore que, dans le cadre de la lutte contre la vie chère, certaines critiques se concentrent injustement sur des entreprises qui œuvrent quotidiennement pour fournir des biens à des prix compétitifs. Le groupe, qui emploie 18 000 personnes et génère un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros, déclare vouloir restaurer sa réputation et faire face à ce qu’il considère comme une campagne médiatique injustifiée.
Dans cette bataille médiatique et juridique, GBH se positionne donc comme un acteur respectueux des règles, dont la probité n’a jamais été mise en cause, et appelle au respect du travail des autorités de régulation économique. Le groupe se dit prêt à défendre sa position devant les autorités compétentes, tout en réaffirmant son engagement pour une meilleure régulation économique en Martinique et dans les autres territoires où il est implanté.