Au TAC du 16 au 18 janvier à 19h30
— Par Selim Lander —
Blaise Cendrars (La Chaux-de-Fonds 1887 – Paris 1961) dont on connaît avant tout La Prose du Tanssibarien et de la petite Jehanne de France (1913) fut non seulement poète mais également journaliste et, pour ce qui nous intéresse ici, romancier. De nationalité suisse, il s’engagea dans l’armée française en 1914, fut gravement blessé dès 1915 et amputé du bras droit.
L’or qui date de 1925 et marque l’entrée de Cendrars dans le genre du roman rapporte l’histoire véridique d’un de ses compatriotes, Johann August Sutter (1803-1880), un aventurier au destin exceptionnel, puisque, après avoir émigré en Amérique et gagné non sans mal (via Vancouver et Honolulu) une Californie encore mexicaine et misérable, il parvint à bâtir en quelques années un empire agricole (New Helvetia), au détriment des Indiens et grâce à des ouvriers-soldats en grande partie kanak. Après la réunion de la Californie aux États-Unis, il fut nommé capitaine, puis général, tout en poursuivant ses entreprises. Véritable coup de théâtre : la ruée vers l’or, à partir de 1848, vit l’envahissement de ses terres par des bandes incontrôlables et sa ruine, ou presque. S’ensuivit une bataille juridique pour faire reconnaître ses droits… mais nous en avons déjà trop dit.
Hélène Lemoine, nouvelle et talentueuse chroniqueuse théâtre sur Madinin’art, a déjà brillamment exposé les différentes significations que l’on peut tirer de ce texte sur le plan politique : le colonialisme, le capitalisme y sont en effet présentés sur leur jour le plus crû. On parlera donc ici plutôt de l’interprétation véritablement magistrale de Xavier Simonin, lequel a adapté, mis en scène et interprète le texte de Cendrars, seulement accompagné par un harmoniciste, Xavier Laune. Sans décor ni effet de lumière ou musique enregistrée et avec une chaise comme seul accessoire.
Qu’est-ce qu’une interprétation magistrale ? Comme le nom l’indique, une manière de jouer au théâtre qui puisse servir d’exemple aux comédiens, apprentis ou confirmés. Et tel est bien le cas de Xavier Simonin dont le physique, déjà, en impose : grand et mince avec quelque chose de dégingandé dans l’allure. Mais un corps ne suffit pas ; il faut savoir le mouvoir pour – risquons le jeu de mot facile – émouvoir le spectateur, et Simonin s’y emploie à merveille, jouant avec ses yeux, sa bouche, ses mains, ses bras, sans parler de ses déplacements sur le plateau.
Parler, c’est mettre en œuvre une voix qui sort par une bouche, avec différentes hauteurs et intensités, sachant que le registre de Simonin est particulièrement étendu. Sa voix est par ailleurs amplifiée (ce n’est donc plus tout à fait du théâtre mais cette pratique est devenue si banale qu’il n’y a plus de raison de s’insurger comme nous l’avons pourtant fait si souvent) grâce à un micro cravate et peut même être transformée (plus grave, pourvue d’échos) quand il utilise un micro fixe. Quant au musicien, il ne se contente pas de meubler les moments de pause inévitables pour le comédien, il lui arrive aussi de jouer dans de rares duos avec son camarade qui continue à dire son texte. Les morceaux d’harmonica – évoquant irrésistiblement la musique des westerns – sont pleinement à l’unisson d’un récit situé dans l’Ouest américain du temps des pionniers.
Deux séances sont encore prévues pour lesquelles il reste des places disponibles. Si certains des lecteurs amateurs de théâtre de cette chronique hésitaient encore à se déplacer pour voir la pièce, on ne saurait que les inciter à réserver leur place : il est encore temps !
L’Or, au Théâtre municipal de Fort-de-France, du 16 au 18 janvier 2025 à 19h30