— Par Dominique Daeschler —
Une ombre vorace, texte et m.e.s. Mariano Pensotti
— Par Dominique Daeschler —
L’argentin Mariano Pensotti, réalisateur et fondateur du groupe Marea, à travers une ascension interrompue de l’Annapurna par la mort de l’alpiniste(Jean Vidal), part à conquête de soi et de ses zones obscures. Aller plus loin que le souvenir, vouloir comprendre, se mettre dans la « peau de »c’est ce que fait le fils de Vidal en partant sur les traces de son père. Parallèlement, un comédien, cherche dans un film sur la vie de Vidal, comment jouer Vidal. Le jouer ? Le vivre ? Le comédien a le même dilemme que le fils : à tarauder le souvenir, à exacerber la mémoire, voilà le réel qui ne sait plus qui a le dessus.
Les récits s’entrechoquent : le fils est le père, le père est le fils, le comédien est Vidal, le fils est le comédien qui devient le fils…tournis… Tout se croise, plusieurs récits, deux monologues se font face. Le double devient obsédant, comme l’idée d’un corps jamais retrouvé. L’argentine n’en a pas fini de chercher ses disparus des années de dictature. Pour une fois il n’y a pas de vidéo, chic, ce qui permet aussi au spectateur d’ être plus sensible aux éléments fictionnels. Est-on le même quand on redescend d’une montagne ? est-on dans une approche mystique, capitaliste ? L’allusion à Pétrarque et à sa fausse ascension du Ventoux dit la force de la fable. La fonte des glaces déplace les corps engloutis, nous révèle à nous-même, et à notre monde d’aujourd’hui en pleine mutation climatique.
Un dispositif scénique simple constitué d’un mur d’escalade à deux faces et tournant a permis au spectacle d’être en itinérance autour d’Avignon. Le récit, cherchant parfois ses prises à coups de piolet par Cédric Eckhout et Elias Noël grimpe et s’impose : pas besoin de petit drapeau au sommet .
KAL, m.e.s. et texte Paul Francesconi, Cie Soleil glacé
— Par Dominique Daeschler —
La compagnie Soleil Glacé qui œuvre entre La Réunion et Limoges, a réuni sous l’égide de Paul Francesconi, par ailleurs artiste associé au théâtre de Bussang, mythologies réunionnaise et japonaise pour construire un conte musical célébrant la richesse de la rencontre gardant à l’amour impossible la saveur romantique de l’éternité.
Une prêtresse, vêtue de blanc, ouvre l’histoire et conduit en grande partie le fil du récit, l’alternant de musique e de chant, avec gravité et talent, renvoyant par son omniprésence au mystère de toute légende.
Surgit Ram, « boat people » rescapé, échoué sur une plage : pourra-t-il, saura t’il reconstruire une nouvelle histoire ? Il suit Kal une drôle de femme emmitouflée qui l’entraîne sur son volcan enneigé. Il soliloque longtemps car Kal est aussi à apprivoiser. Le monde sans dessus-dessous est chaud et froid : trop chaud, trop froid sans mesure. Pour ces deux êtres, la danse est un temps d’approche animale, intuitive, rusée. Ram et Kal se trouvent : l’amour un temps partagé, se situe hors du temps comme un viatique offert à des désespérés. L’éternité va préserver cet amour, laissant les êtres à leur destin : rester pour l’un, repartir pour l’autre et laisser le monde cahin-caha. Cette histoire délicate qui fait la part belle au symbolisme manque encore de distance. Donner du mouvement au silence, à la parole empêchée de l’autre afin de ne rien figer, reste un objectif qui devrait être atteint dans la durée.
Elles avant nous, m.e.s. Leyla Rabih, Cie Grenier Neuf
— Par Dominique Daeschler —
Dirigée par Leila Claire Rabih, par ailleurs directrice de l’ENSATT à Lyon, la compagnie dijonnaise Grenier Neuf est ouverte sur les écritures contemporaines qui traitent des problématiques sociétales actuelles. Trois jeunes femmes mahoraises racontent leur vie, tiraillées entre traditions, respect de leur culture et de leurs propres acquis sans oublier la place de Mayotte au sein des Comores…
Elles sont plantées dans le sol, face au public. Entourées de tissus multicolores ,comme autant de peaux, dont elles se parent se dépouillent avec leurs jeans en dessous, elles parlent à tour de rôle, dénoncent, expliquent. Elles ont fait des études et veulent mener leur barque comme bon leur semble. Las, las il y a d’emblée quatre obstacles : la religion, la famille , la bigamie et l’exogamie.
Le mariage ? une femme non mariée ,indépendante, n’est pas respectable et toute la famille s’en mêle . Tout de même la dot du mari a son importance ! On peut peut-être passer sur le fait qu’il soit vieux, vivre maritalement ou chacun de son côté : oh là là ,faudra régulariser. Si l’on rit en se souvenant comment on se changeait dans le bus qui ramène de l’école, la tradition titille.
C’est une culture qui raconte aussi la place particulière de Mayotte dans les Comores, l’acquisition de l’indépendance, le rappel d’une francophonie…absente ou, allez, à faible rayonnement. Les comédiennes ont pris le rythme du babillage pour mieux appuyer les contenus politiques et leurs messages. A bon entendeur, salut !
Ici, un islam fort mais différent des pays arabes car y sont mêlées les traditions diverses de l’Océan Indien, des Comores qui défient la rigidité d’un code moral étouffant pour les femmes. L’indépendance économique, l’émancipation par le travail pas question de perdre tout ça : faudra bidouiller.
Rondement menés, ces récits-témoignages vifs, restent matière à réflexion sur le respect des cultures, leurs mutations, le combat incessant des femmes pour leur égalité et le respect de leur émancipation et…les données politiques d’une départementalisation. On réfléchit ?