— Par Yves-Léopold Monthieux —
Pour les partisans de l’autonomie de l’article 74 qui s’adressaient aux électeurs martiniquais lors des consultations électorales de janvier 2010, la conservation par l’État des pouvoirs régaliens avait été présentée comme la parade parfaite contre les dérives éventuelles d’une nouvelle collectivité. Que fallait-il craindre de l’évolution statutaire, disait-on, dès lors que la garantie contre les dérives éventuelles allait être assurée par l’État gardien du pouvoir de police, de justice et défense ? Ce fut l’argument massue utilisé pour convaincre une population réticente à franchir le pas institutionnel. Or, nul ne peut ignorer que le refus d’accepter l’autorité de la France sur nos deux îles de Guadeloupe et de Martinique a été très précisément à l’origine des revendications de rupture.
Le pouvoir régalien, un piège pour l’État.
Dès lors, la question se pose de savoir si l’État peut exercer en Martinique le pouvoir régalien qui lui est reconnu sur le papier même en cas d’autonomie, et si cette prérogative ne constitue pas en réalité un véritable piège pour les gouvernements. Votre serviteur n’avait pas craint dans plusieurs articles de signaler que dans les perspectives annoncées le pouvoir régalien n’était qu’un leurre. D’abord, la délectation à cette perspective des partisans de la rupture était trop voyante pour ne pas être suspecte. Ensuite, comment ignorer que le nationalisme et le combat anticolonialiste sont nés très précisément de la répression et de la justice, toutes deux qualifiées de “coloniales” ? Enfin, les leaders politiques étaient trop avisés pour ne pas prévoir, au contraire, tout le parti à tirer d’une situation où la compétence de la France serait réduite à l’activité la plus décriée par le colonisé : la répression. En effet, comment mieux combattre l’État français qu’en la réduisant à la dimension caricaturale du colonisateur ? Il suffit de voir avec quelle gourmandise les nationalistes se sont jetés sur la CRS 8, comme symbole du pouvoir régalien.
La motionnite au service des convictions anticolonialistes
Car à défaut de faire couler l’eau et transporter les Martiniquais, entre autres objets de sa compétence, et abusant de la capacité de résilience inépuisable de la population, la CTM confirme son expertise dans l’art de produire des motions contre l’exercice du pouvoir régalien. On ne compte pas le nombre de celles votées par les collectivités successives depuis que la veille de Noël 1959, le conseil général vota une motion culte. Cependant, à l’exception de ce vote historique obtenu par une majorité de droite, on ne se souvient pas que la « motionnite » (débauche des motions) ait eu un grand effet sur le cours des choses, sauf à vouloir forger les cerveaux à un esprit anti-État. En conséquence, en ce jeudi 3 décembre 2024, le vote de trois motions par l’Assemblée de la Collectivité territoriale de la Martinique n’a donc pas d’autre intérêt que de mesurer l’ardeur anticolonialiste des uns et des autres.
Peu importe pour leurs auteurs que la Martinique soit à feu et à sang, toutes ont trait à la volonté de contrarier l’exercice du pouvoir régalien. Pendant cette période agitée où la Martinique brûle, l’inattendu tient à la capacité de la CTM de trouver encore, à travers l’affaire Pinto, le temps de “motionner” contre la “justice coloniale”. Les coups de menton devant les caméras ainsi que d’habiles désistements au moment des votes cachent mal l’absence de débat et la volonté commune d’utiliser le pouvoir régalien comme levier de contestation de l‘État.
Fort-de-France, le 12 octobre 2024
Yves-Léopold Monthieux