— Par Roland Sabra —
Comment mettre en scène un poème de cette trempe. Beaucoup s’y essaient, peu réussissent. Jacques Martial en avait donné un version presque guerrière? Rudy Silaire nous offre une version ronde comme le comédien et pleine de sensualité et de douceurs caribéennes. Même quand il élève la voix, il donne le sentiment de jouer à se mettre en colère. Il semble suffisamment sûr de lui, sur scène pour quitter sans encombre et pour notre bonheur de spectateur les rivages fascisants du virilisme, cette maladie infantile de la masculinité. Sa personnalité est donc assez forte pour éviter de se faire oublier sur scène. Dirigé par un autre metteur en scène que lui même il est contraint d’adopter d’autres codes que ceux que « naturellement »-mais qu’il y a-t-il de naturel dans le théâtre- il pratique. La belle pénombre dans laquelle baigne la scène et l’excellent accompagnement musical de Laurent Phénis, créateur de la bambou muzik – décidément la Martinique est un pays musicien- n’arrivent pas toujours à faire oublier ce manque de distance critique de Rudy Silaire mettant en scène Rudy Silaire. Par exemple l’ouverture avec un Césaire les yeux rivés sur une paire de jumelle, explorant en vain l’horizon dans le vain espoir d’apercevoir le pays natal est un peu long. Trouver le geste approprié au texte n’est pas simple et quand il est trouvé il y a forcément tendance à la redite. Ne boudons pas notre plaisir. Rudy Silaire fait entendre le texte d’une autre façon, mettant par exemple en valeur les traits d’esprit du poète, cet humour césairien pas toujours retenu dans les lectures. Ce faisant Rudy Silaire souligne, après et avant bien d’autres, la richesse incommensurable de l’oeuvre avec laquelle tout a commencé.
Plus égoïstement pour le spectateur ce travail est une agréable réussite en ce qu’il permet une fois de plus d’entendre le texte et de s’entendre le réciter en sourdine.
Roland Sabra 04/10/09