Une interview qui fera date : celle du professeur Justin Daniel sur Martinique 1ère

— Par Pierre-Alex Marie-Anne —

Le 20 Mars 2025 est à marquer d’une pierre blanche, pour la première fois, on a pu entendre sur le média TV officiel une analyse objective de la situation de la Martinique. Le constat qui en ressort est que notre petite île se meurt sous l’effet combiné de son effondrement démographique et de l’impuissance à agir de l’actuelle gouvernance de la CTM, sur fond de développement exponentiel du narcotrafic.Pour l’éminent professeur, le modèle de gouvernance hérité de l’après-guerre est épuisé ; la logique qui le sous-tendait, celui de l’État providence a atteint ses limites, l’État n’ayant plus les moyens d’assurer le financement des transferts publics et sociaux qui le caractérisaient .Il considère d’ailleurs que si ce système à,permis des progrès substantiels en matière de conditions de vie, il n’a pas pour autant supprimé les déséquilibres et inégalités structurelles pré-existants dans la société coloniale, d’où les tensions actuelles exacerbées qui prennent une coloration identitaire et socio-raciale. Cette donnée fondamentale devrait en conséquence être au centre des préoccupations et de l’action des responsables de cette collectivité majeure pour selon ses termes: «dégager pour ce territoire une vision, une ambition et des perspectives». On en est loin ! il déplore en effet une focalisation sur les questions institutionnelles au détriment de la prise en compte des enjeux et des problèmes concrets de la société martiniquaise .Plus précisément, il pointe du doigt l’absence d’un projet collectif partagé à échéance de 20 ou 30 ans ; la cause en est le manque de vision anticipatrice, que ne parvient pas à masquer l’emploi de mots magiques ( rupture,changement de paradigme) dépourvus de contenu concret. Pour l’élaboration de ce projet, il met en garde contre la tentation d’une proposition “ clé en mains “au contenu duquel la population n’aurait pas été directement associé,comme ce fût le cas pour l’actuel statut de la CTM ( il en sait quelque chose !) ; pas question de s’en remettre à « un sauveur tombé du ciel », dont il n’entrevoit d’ailleurs pas la préfiguration ; c’est tout au contraire selon lui, de la participation active de la population à l’élaboration d’un projet collectif que pourra surgir un leader capable de l’incarner et de mettre en récit les idées fédératrices ayant été validées.Personne fait-il observer, ne serait prêt ( en l’état) à investir sa confiance dans un des partis existants qui prétendrait prendre en charge les changement souhaités par le plus grand nombre. Il termine néanmoins sur une note plus optimiste, en soulignant l’ extraordinaire bouillonnement créatif et entrepreneurial d’une jeunesse martiniquaise de plus en plus audacieuse et qualifiée.Cette interview magistrale fera date disions-nous,car elle servira désormais d’étalon pour juger de la pertinence des propositions des uns et des autres s’agissant de l’avenir de ce pays.Elle ne peut que faire ressortir sous une lumière crue,la vacuité des sempiternels discours englués dans le passé ( l’esclavage et la colonisation, la faute à l’État pour tout ) qui servent en réalité de paravent à l’incompétence et à l’inaction. C’est le lieu, à mon sens, de dénoncer l’inculture économique de nos dirigeants qui en sont restés à s’imaginer que le progrès social peut se concevoir dans un territoire indépendamment de la réussite de ses entreprises ;il suffirait de multiplier les textes de loi, de créer de nouvelles taxations et impositions pour que le tour soit joué.(Le spectacle offert ces temps-ci par l’Assemblée Nationale est à ce titre édifiant). En ce qui concerne notre petite île, qui se heurte dans tout ce quelle entreprend, qu’il s’agisse de production agricole, industrielle ou touristique, au mur de la non-compétivité engendré par le niveau et le coût de sa protection sociale, sans comparaison avec ceux de ses concurrents limitrophes de la Caraïbe, cette question revêt une importance capitale. Comment faire pour supprimer cet handicap qui obère la rentabilité de toutes nos initiatives? C’est ce dilemme qu’il faut absolument résoudre si l’on veut espérer sortir de notre mal développement. Malheureusement, nos élus restent sourds à cette évidence : quatre congrès pour réclamer un pouvoir normatif et fiscal qui ne servira à rien en l’absence de richesses produites par nos entreprises, La seule réforme qui devrait mobiliser toutes les énergies aussi bien du monde politique qu’économique et social ( notamment les syndicats et le secteur associatif) avec le concours actif des médias, c’est celle de l’instauration d’une zone franche sociale sur l”ensemble de notre territoire portée par les cercles de réflexion économiques.Il s’agit de dépasser une vision “court-termiste”de l’équilibre comptable des comptes sociaux pour miser sur la plus -value attendue de l’accroissement de l’activité économique, avec à terme l’augmentation du nombre de contribuables et donc de rentrées fiscales d’une-part et la diminution de la charge inhérente à la distribution sans cesse accrue d’allocations et d’aides sociales de l’autre.En quelque sorte un jeu à somme nulle pour les finances publiques. Cette mesure qui pourrait être mise en œuvre à titre expérimental en Martinique pendant une période de cinq à dix ans, est de nature à changer complètement la donne en brisant le cycle dépressionnaire dans lequel les Antilles n’arrêtent pas de s’enfoncer .Ce pourrait être la traduction concrète de cette volonté d’établir avec l’outre-mer une nouvelle relation de confiance qu’a évoquée le ministre Manuel VALLS lors de son récent déplacement dans nos eaux .Une telle réforme métamorphoserait littéralement les conditions de vie dans les outre-mer et boosterait le rayonnement de la culture française sur tous les océans.Profitant de la dynamique nouvelle ainsi crée, la Collectivité territoriale de Martinique devrait rompre définitivement avec l’idéologie passéiste qui est la sienne : la critique systématique de l’État français sur fond de procès mémoriel appartenant à des temps révolus .En lieu et place, elle pourrait utilement nouer avec ce dernier un véritable partenariat de nature à faciliter la mise en œuvre effective de ses importantes compétences (eau, transport,énergie etc…)qui restent à ce jour inutilisées.Ce changement de perspectives permettrait de combattre la sinistrose entraînée par le discours ambiant : «nous ne pouvons rien faire,nous n’avons aucun moyen, faute de pouvoir normatif et fiscal », dont la meilleure preuve de la fausseté est donnée par les intéressés eux-mêmes; à aucun moment en effet,ils n’envisagent de démissionner, démontrant par la même qu’ils ne croient pas un traître mot de ce qu’ils affirment. Surtout, cette nouvelle démarche constituerait un puissant moyen de redonner l’espoir à une jeunesse désabusée par l’inaction et les promesses non tenues des responsables en place et l’inciter à retrouver le chemin de la réalisation de ses objectifs dans son pays natal.

Pierre-Alex MARIE-ANNE