Un film, et une marche théâtralisée pour célébrer l’ « Insurrection du Sud, de 1870 »
Auteur-compositeur-interprète, réalisateur et producteur de cinéma, Erick Jean Marie signe son premier long métrage, « Insurrection », inspiré des événements de 1870 sur l’île de la Martinique. Une île, alors colonie française, et qui fut « au bord de l’indépendance. »
D’Erick Jean Marie, on peut voir sur sa chaîne YouTube plusieurs courts-métrages, qui nous parlent de la Martinique et de ce qui la traverse. Je retiens particulièrement « Ptolémée » qui en quatre minutes rend un bel et vibrant hommage à Césaire, sous forme de Danmyé, à l’occasion de sa date anniversaire, une courte vidéo ainsi présentée : « Aimé Césaire est né le 26 juin 1913 au nord de la Martinique, plus précisément à Basse-Pointe . C’était un écrivain et homme politique français, et surtout une autorité morale. Il était aussi essayiste, biographe, dramaturge, et bien sûr poète. Il décède le 17 avril 2008 au CHUM de Fort-de-France ». L’hommage se ferme sur les mots et la voix du poète lui-même : « Nous naissons dans la case du bateau négrier. C’est là que naît l’histoire antillaise. »
Erick Jean-Marie est « tombé par hasard » dans le monde du cinéma et ses débuts chaotiques, explique-t-il, seront ceux d’un amateur avant que son fils ne lui prête main-forte, en l’aidant à se professionnaliser, en achetant une « vraie caméra ». Une aubaine pour le Martiniquais qui, prudent, avoue avoir écrit une fiction pour mieux pacifier les nombreux messages que le film pourrait engendrer. Inspiré très largement des faits réels de l’époque, sur fond d’injustice et de discrimination ambiante, le résultat est à la hauteur de son engagement d’homme passionné de cinéma.
« Insurrection », personne ne pensait ce projet réalisable, excepté l’auteur lui-même. Il a scénarisé, réuni les fonds, trouvé ses acteurs et réalisé un film 100% martiniquais, qui s’inspire d’un fait réel, un événement qui a ébranlé pendant plusieurs mois la Martinique, colonie française de l’époque.
Dans cette production, il s’agissait pour Erick Jean-Marie d’expliquer comment un simple fait divers a embrasé une partie de l’île, et conduit à des exécutions et à un procès pour l’exemple. Ce que l’Histoire nomme « Insurrection du Sud de 1870 », amènera à l’arrestation de 500 émeutiers dont Marie-Philomène Roptus, surnommée Lumina Sophie¹ ou encore Surprise, et à l’exécution d’une dizaine de meneurs .
1870, seulement 22 ans après l’abolition de l’esclavage. Les hommes et les femmes sont devenus des personnes d’âge mûr et se souviennent encore des horreurs de l’esclavage. Ils sont des hommes libres, des citoyens égaux mais pas vraiment. Les rivalités des classes ne sont pas éteintes. Cet événement qui débute à Rivière-Pilote, une commune située à l’est de l’île, a fait trembler le gouverneur de l’époque, Charles-Louis Constant Menche de Loisne. Et l’« Insurrection du Sud » va changer le visage de la société martiniquaise, quand les békés — les Blancs créoles — étaient au coeur de la politique de ce petit pays colonisé par la grande puissance française.
Fin février 1870, Léopold Lubin, entrepreneur, travaille sur la route, entre le bourg et les bâtiments de l’Usine du Marin. Augier de Maintenon, officier du commissariat de la Marine et Pelet de Lautrec, ancien militaire et propriétaire terrien, passent à cheval en discutant. Léopold Lubin ne pense pas qu’il obstrue le passage des deux cavaliers. Augier de Maintenon l’interpelle et lui reproche son peu d’entrain à libérer la route. Une vive altercation s’ensuit et le commissaire de la Marine est désarçonné, son ami vient le soutenir, et tous deux administrent à Léopold Lubin une sévère correction : il sera en incapacité de travailler durant plusieurs jours.
Léopold Lubin demande justice mais ne l’obtient pas. Le 25 avril, il aura l’occasion de se venger par lui-même d’Augier de Maintenon : celui-ci est à cheval, au bout de la rue du Marin, Léopold Lubin se précipite sur lui, le jette à terre et le roue de coups. Le commissaire de la Marine porte plainte, la plainte est entendue le 25 août 1870, contrairement à celle de Lubin… Léopold Lubin est condamné, pour avoir « prémédité son action », à cinq ans de réclusion criminelle et à quinze cent francs de dommages et intérêts. Un scandale, le peuple crie au déni de justice, même si deux ans plus tard Léopold Lubin sera libéré, bénéficiant de ce déni flagrant de justice.
Mais le mal est fait et au soir du 22 septembre 1870, indignation et conspiration vont alimenter les rancoeurs, les rancunes, et l’« Insurrection du Sud » prendra naissance dans cette commune de Rivière-Pilote, pour s’étendre ensuite du Marin jusqu’à Trinité. En réalité c’est toute l’île de la Martinique qui sera « en émoi » ; les campagnes, les bourgs seront « ratissés », par les ouvriers agricoles en colère. La journée du 26 septembre 1870 sera décisive, après une nuit de violence, 200 personnes seront arrêtées, dont les chefs des insurgés.
En réalisant « Insurrection », Erick Jean-Marie inscrit sa mission dans un cadre pédagogique. Son objectif : « Faire connaître aux jeunes les Histoires de leur pays ». Pour ce faire le cinéaste a bénéficié du concours de descendants directs des protagonistes de l’époque et d’acteurs martiniquais, tous bénévoles et amateurs, précise-t-il : Kolo Barst, Sylvanise Pépin, Guy Vadeleux, Sully Cally, Jala Lafontaine, Félho Denis et Céline Flériag sont inscrits au casting du film. Après plusieurs semaines de tournage, la première d’« Insurrection » a eu lieu le 29 septembre 2019.
Si « Insurrection » cherche toujours des diffuseurs, le film interpelle, interroge et provoque la grande curiosité des jeunes spectateurs dans les différentes municipalités de Martinique. Des projections sont régulièrement programmées dans des lycées et collèges, occasionnant des débats qui recontextualisent cette fiction de 52 minutes.
Quelle autre conclusion que la sienne, inscrite sur son Facebook, pourrait-on donner à cette présentation : « NOUS L’AVONS FAIT !!! Vous m’avez quelques fois poussé dans mes retranchements, vous m’avez applaudi, vous m’avez invectivé, vous avez douté, vous m’avez encensé, vous m’avez chuchoté à l’oreille, vous avez cru en moi. En retour, j’ai été au bord du découragement, j’ai tendu la main qui est restée vide, j’ai jubilé, mais je n’ai jamais lâché. Les yeux embués, j’ai avancé parce que je pensais à vous et à nos ancêtres ! »
Source : Publications panafricaines, diaspora noire, people et actus
Événement : Marche théâtralisée en l’honneur du 150ème anniversaire de l’Insurrection du Sud.
Rendez-vous au stade du Vauclin à partir de 8h, Dimanche 13 septembre 2020. Artistes et comédiennes jalonneront le parcours pour nous raconter et mimer avec talent l’histoire des Insurgés du Sud.
Quelques rafraîchissements, pour un moment d’échange et de convivialité, seront proposés en fin de parcours. Pensez à emmener vos gobelets !
Places limitées, réservations obligatoires AVANT le 10 septembre au 0696 53 71 16.
- Pour rappel : Suzanne Dracius a publié en 2005 « Lumina Sophie dite Surprise » chez Desnel, livre à partir duquel, au festival de Fort-de-France 2015, Élie Pennont et ses élèves ont réalisé une mise en scène de la vie de l’héroïne, au Sermac