—Par M’A —
Une performance inoubliable ce vendredi 10 mars à Tropiques-Atrium. Ses quatre musiciennes violonistes sont de blanc vêtues, ses deux musiciens, aux claviers et aux percussions sont habillés couleur nuit, comme elle qui arrive juchée sur des chaussures dotées d’immenses semelles compensées. Elle n’a pas pour autant choisi son camp! Détail, à noter tout de même. L’essentiel est ailleurs. Et il est massif!
Elle a subjugué le public martiniquais dans un univers musical envoûtant, inventif, métissant les genres, les cultures et les influences. Elle a su en chantant dans une langue que son public ne parle pas l’émouvoir jusqu’aux larmes… Elle mêle des mélodies orientales déchirantes au trip hop, ce genre musical qui a pour base une rythmique hip–hop, sur laquelle viennent se greffer toutes sortes d’influences, notamment jazz, blues, musique électronique. Elle fait dialoguer percussions du Maghreb, violons du Proche-Orient, sonorités électroniques, dans une recherche urgente et passionnée d’humanité et de vérité. Poésie et politique sont pour elle, sœurs siamoises. La forme et le fond ne sont les deux faces d’un même poème, d’une même chanson. Elle a choisi un chemin escarpé et exigeant vers une vérité lovée au fond d’elle-même et qui aussi celle de ses sœurs. C’est un chemin jamais droit, fait de bifurcations, et elle n’est jamais là où on l’avait laissée, où on croyait la trouver. Elle ne fait pas deux fois la même chose. Elle sait que la compulsion de répétition est la signature de Thanatos. Elle chante Kelmti Horra (Ma parole est libre) et tout un peuple chante avec elle. Rester dans un état de créativité artistique perpétuel, tel est son moteur et son défi. Ses albums ont été pensés, répétés, enregistrés, écoutés, réécouté mais sur scène, elle n’oublie pas qu’elle s’adresse à un public vivant fait de sang, de chair et d’os dont elle prend le pouls, capte l’humeur et alors elle transforme, module, varie la longueur de ses morceaux, elle coupe certains passages, en ajoute d’autres. Après deux albums (Ensen et Everywhere We Looked Was Burning) très politiques et radicalement électro, elle enregistre guitare-voix un double album, plutôt intimiste (The Tunis Diaries).
A la fascination insistante de la monophonie des maqâms elle superpose amoureusement les arts de la polyphonie et de l’harmonie.
De New York à Paris, de Paris à Téhéran (voir No Land’s Song) en passant par Oslo pour le Prix Nobel de la Paix 2015 décerné au «Quartet du dialogue national» de Tunisie pour sa contribution décisive à la construction d’une démocratie pluraliste à la suite de la révolution de Jasmin en 2011 elle a pour désir, moteur et volonté farouche, de rester dans un état de créativité artistique perpétuel. Depuis 2018 lors d’un séjour en forêt près de Woodstock elle développe un attrait pour la nature, une sensibilité écologique, une nécessité de prendre en compte l’état de la planète qui jusque là, emportée qu’elle était dans un maelstrom politique et artistique, la travaillait de façon plus souterraine.
C’est, vous l’aurez compris, une Fanm Doubout !
Elle s’appelle Emel Mathlouthi.
Merci à Tropiques-Atrium de l’avoir invitée.
M’A