— Par Marcel Gauchet —
Dans « Une contre-histoire de la colonisation français » l’écrivain Driss Ghali bat en brèche les idées reçues sur la colonisation. L’historien et philosophe Marcel Gauchet estime qu’Emmanuel Macron devrait lire d’urgence ce livre.
La cause est très officiellement entendue. Le président de la République en personne l’a gravée dans le marbre : la colonisation aurait été un « crime contre l’humanité ». Je serais très curieux de savoir, soit dit au passage, ce qu’Emmanuel Macron connaît au juste de la colonisation pour en arriver à ce jugement définitif sur lequel il n’a jamais daigné s’expliquer. Je ne saurais trop lui recommander la lecture du livre de Driss Ghali pour parfaire une science que je soupçonne d’être très incertaine. Elle l’ouvrirait à une compréhension mieux étayée de la complexité du problème.
Driss Ghali n’est pas un historien professionnel. Son but n’est pas de fournir un tableau plus fourni et plus précis de ce que fut la colonisation française. Son propos est celui d’un écrivain politique qui vise à permettre au citoyen de se former un jugement éclairé sur une question contentieuse entre toutes et embrouillée à souhait par des partis pris passionnels. Il a pris la peine de s’informer aussi sérieusement que possible, mais ce qui lui importe, c’est de dégager de cette information une idée à la fois claire et équilibrée d’un épisode qui nous est devenu largement opaque. J’ajoute qu’il a dans cette démarche un intérêt personnel, en tant que Marocain d’origine et descendant d’ex-colonisés. Ces racines lui permettent d’appréhender la question de l’intérieur, sur la base d’une expérience familiale et d’une connaissance intime des sociétés qui ont été concernées par la domination coloniale. Cela n’en donne aussi que plus de mérite à sa liberté de ton et à son souci de justice par rapport aux clichés simplistes de la critique décoloniale.
Ambiguïté terrible
Le résultat en est un livre comme on voudrait pouvoir en lire sur tous les sujets qui enflamment la scène médiatique tout en laissant la grande masse de l’opinion dans la perplexité. Cette contre-histoire de la colonisation française est un modèle de ce que devrait être un livre politique : simple, direct et aussi impartialement nuancé que net dans ses appréciations. Rarement ai-je lu des pages qui rendent aussi sensible l’ambivalence tragique du fait colonial.
Driss Ghali retrouve, sans le mentionner, l’esprit de pages jadis fameuses de Marx sur cette ambiguïté terrible. Oui, la colonisation anglaise de l’Inde fut une entreprise atroce, écrivait Marx en substance, mais une émancipation a néanmoins cheminé au travers de cette inhumanité, par rapport à la chape de plomb d’une tradition non moins oppressive sur un autre plan. Le rappel sans fard de ce qu’étaient le Maghreb, l’Afrique subsaharienne, l’Indochine avant la colonisation française auquel procède notre auteur remet utilement les pendules à l’heure. C’est la question qu’il ne faut pas se lasser de poser aux dénonciateurs de l’horreur coloniale, une fois dûment enregistrés les faits qu’ils allèguent à juste titre : où en était-on avant ?…