—Par Yves-Léopold Monthieux —
De l’art d’être Martiniquais à part entière et citoyen français à part entière dans une société de perroquets. Il en va ainsi de la pensée unique qui submerge la vie politique et intellectuelle martiniquaise. Il est aujourd’hui tendance, de bon aloi et de bonne convenance politique d’éviter tous les mots et expressions qui rappellent la réalité des territoires situés loin de l’Europe et rattachés, d’une manière ou d’une autre, à la France … et à l’Europe. Bref, la Martinique n’est pas la France. Sachant qu’à l’inverse, il est toujours de saison de sortir les armes de la continuité territoriale et du Français à part entière. Miracle, la Martinique est la France !
S’agissant de nos députés, indépendantistes, il semble désormais convenu, lorsqu’ils ne peuvent pas éviter le vocable outre-mer, de le faire par la formule : « qu’on dit » ou « qu’on appelle ». C’est ainsi qu’on entend de plus en plus dans la bouche de ceux de nos élus qui s’expriment, la formule département ou collectivité « qu’on dit d’outre-mer ». Ainsi donc, même si la Martinique est regardée comme une colonie, elle n’est, pour la doxa, l’outre-mer de personne ni la colonie d’aucun colonisateur.
Aussi bien, le mot métropole devient un contresens et nos brillants géographes nous enseignent qu’il n’existe sur la mappemonde aucun pays qui se nomme Métropole. On l’avait deviné mais on est rassurés. En revanche, grâce à leur don d’extralucide, ils y ont vu écrit Hexagone, jusqu’à amener les princes qui nous gouvernent à y adhérer, en souriant dans leur barbe à Paris. De même que le vocable été doit être banni dans un pays où cette saison n’existe pas. Néanmoins, les fusils ne semblent plus braqués contre la locution vacances d’été ; les censeurs de l’expression ont baissé la garde dans un pays sans été, mais qui détient le record du nombre d’estivaliers. Une nouvelle notion martiniquaise vient s’ajouter à l’effort d’effacement de la réalité : polycentralité. Elle voudrait que ce qu’on appelle métropole ne soit pas le centre et que ce soient les pays qu’on dit d’outre-mer qui seraient, tout autant qu’ils sont, les véritables centres. Ainsi donc, n’hésitons pas à nous payer de mots : la Martinique est une colonie sans métropole, elle possède un tourisme qui ne se veut pas d’été et se retrouve dans un « au-delà des mers » qui n’est pas l’outremer.
En effet, c’est à mourir de rire de voir s’étrangler des sachants martiniquais lorsqu’au détour d’une phrase le vocable outre-mer devient incontournable. Proposer, par exemple, de remplacer outre-mer par un balbutiant « au-delà des mers », indique l’ampleur et l’inanité des contorsions sémantiques à vouloir modifier la réalité. Lorsque le sachant est un homme politique ou un quelconque chroniqueur et qu’il déclare ne pas aimer les mots été, métropole ou outre-mer, trop peu politiquement sexy, il est dans son rôle. C’est un parti-pris politique. Cela ne l’empêche pas d’adhérer avec gourmandise aux RUP d’Europe et à la continuité territoriale de France, tout en protestant que la Martinique est un pays à part entière et qu’elle ne saurait être l’appendice d’aucun autre pays. Il pourra donc monter à Bruxelles et à Paris pour exiger becs et ongles tous ses droits de citoyen français et européen à part entière. C’est en quelque sorte le devoir d’incohérence de la politique.
Mais si l’auteur de la bafouille de rigueur dans notre société de perroquets est un professeur d’université, il doit une explication immédiate à ses étudiants et aux citoyens qu’il éduque par ses interventions à la radio et la télévision. Les incohérences politiques du terrain, fussent-elles « sociétalement » confortables et conformes à la bien-pensance ou la pensée unique, ne devraient pas s’opposer à la vérité institutionnelle que le professeur est chargé d’enseigner.
Fort-de-France, le 13 mai 2023
Yves-Léopold Monthieux