— Par Guy Lordinot, ancien député —
Au dix-septième siècle, ce sont des kalinagos qui peuplaient la Martinique. Un jour ils constatèrent l’arrivée de grands navires transportant des blancs venus de France. Désirant s’établir sur l’île, les français ont débarqué et exterminé tous les habitants. Ce massacre leur a permis de s’approprier toutes les terres. Pour leur exploitation, ils ont importé d’Afrique des « animaux à deux pieds », ils en ont fait des esclavisés. Le travail de ces êtres humains leur a permis de produire du sucre, du chocolat, exportés à la cour du roi de France. De ce fait ils sont devenus riches grâce au rude labeur de leurs esclavisés.
Afin d’échapper aux conditions cruelles qui leur étaient imposées, ces derniers se sont enfuis ou rebellés.
Ils sont parvenus à arracher leur libération en 1848 mais se sont retrouvés privés de ressources et de terres.
Afin de se procurer des ressources, les nouveaux libres ont dû retourner travailler sur les habitations de leurs anciens maîtres.
La perte de cette main d’oeuvre a conduit l’Etat à verser aux maîtres un dédommagement conséquent et à leur laisser la propriété des terres indûment acquises.
Parmi ces derniers, quelques – uns avaient admis que les esclaves étaient des humains. A certains de leurs enfants métis, nés de leurs relations avec leurs servantes, ils ont donné liberté, instruction, terre et divers biens. Cette générosité a permis à quelques métis d’acquérir eux aussi des esclaves puis de bénéficier du dédommagement.
A la libération de l’esclavage, les écoles créées par l’Etat et ouvertes à tous, ont permis à certains élèves de devenir enseignants, appelés à l’époque « maîtres d’école ».
Comprenant que l’instruction pouvait permettre aux meilleurs élèves d’accéder à de meilleures conditions de vie grâce à leurs diplômes, ces maîtres se sont attelés à leur tâche avec une remarquable ardeur. Mission parfaitement réussie : de nombreux fils ou petits-fils d’esclavisés sont devenus enseignants, médecins, infirmiers, pharmaciens ingénieurs, avocats, employés d’administrations diverses… Conséquence de ce travail, une nouvelle classe sociale est donc apparue au sein de la population martiniquaise. Elle est composée d’enfants métissés dont les parents sont descendants de blancs, de noirs, de travailleurs venus principalement d’Inde pour servir de main d’oeuvre… Une population qui avait ses élites parmi lesquelles la personnalité plus connue, celle qui émergeait le plus nettement était Aimé Césaire.
Cette population qui avait sa propre culture, sa langue, ses coutumes allait-elle devenir un véritable peuple ?
Être français
Lasse d’être ignorée, voire méprisée par l’Etat, la population aspirait à une forte amélioration de ses conditions de vie.
En mars 1946, se faisant son porte – parole, Aimé Césaire, devenu député, a brillamment plaidé à l’Assemblée Nationale pour l’assimilation des colonies Guadeloupe, Guyane, Martinique et Réunion à la nation française. La loi ayant été votée, la Martinique et les trois autres colonies sont devenues des départements dont les originaires bénéficient théoriquement des mêmes droits que les autres français.
Dès lors, le gouvernement nomme un préfet, lequel remplace le gouverneur de la colonie et siège dans le palais précédemment occupé par ce dernier !
Les autres dispositions de la loi ne sont pas appliquées et c’est au prix d’une mobilisation puissante des travailleurs que divers avantages, notamment l’instauration de la Sécurité Sociale sont obtenus.
Devant la forte demande de terres émanant des agriculteurs, l’Etat engage une réforme foncière au début des années 1960.
Les békés, descendants des colons étant demeurés « propriétaires » des terres volées par leurs ancêtres, on pouvait s’attendre à ce que ces terres soient au moins partiellement récupérées et redistribuées. Il n’en a rien été.
Non contents de jouir des plus grandes surfaces agricoles, singulièrement celles qui sont mécanisables, des groupes békés ont vampirisé le secteur de l’importation et de la distribution, demeurant de ce fait, les véritables maîtres de la Martinique. Cette situation est de moins en moins supportée dans le pays, le coût de la vie déjà élevé ne cessant d’augmenter. D’où l’implosion sociale à laquelle nous assistons et qui suscite énormément d’inquiétude dans toutes les couches de la population.
Dans le même temps, un processus curieux est engagé. Il tend à faire disparaître la population martiniquaise métissée.
A l’extermination physique violente des kalinagos au 17e siècle répond une extermination sournoise, lente, mais efficace en ce 21e siècle. Elle prend plusieurs formes : émigration des jeunes vers la France hexagonale, appauvrir la population par la cherté de la vie et l’effondrement de la production locale, empoisonnement, isolement de la Martinique par rapport à ses voisins caribéens, ventes parfois forcées de terres à de nouveaux arrivants qui se regroupent parfois en communautés hostiles aux autochtones…
Déjà, il y a plusieurs années, Aimé CESAIRE faisait ce constat (extrait de son discours en annexe)
La volonté de l’Etat est claire : conserver dans son giron une Martinique qui lui offre un marché captif pour ses productions, un espace maritime conséquent, une situation géopolitique enviable.
Tout ceci pour un coût minimisé à l’extrême.
Le processus n’est-il pas en voie d’aboutir ?
Notons par ailleurs une singularité surprenante.
Depuis l’année 1635 où la France occupe la Martinique et jusqu’à ce jour, ce sont des blancs européens et des békés qui dirigent notre pays pourtant composé presqu’exclusivement de métis. N’est-ce pas un régime d’apartheid ?
Le lieu symbolique du pouvoir en Martinique est le « palais du gouverneur » qui appartient pourtant juridiquement au département.
Pourquoi est-ce le Préfet, fonctionnaire de l’Etat qui l’occupe, en lieu et place d’un élu des citoyens de la Martinique ?
Pourquoi au moment de la loi de décentralisation de Mars 1982 cet immeuble n’est-il pas devenu le siège du Président du Conseil Général ?
Par ailleurs, n’est-il pas anachronique en 2024 que la haute administration de l’Etat soit composée presqu’exclusivement de fonctionnaires européens ?
Leur culture, différente de la nôtre, crée pourtant des incompréhensions avec la population.
Face à ces situations, resterons-nous inertes ?
L’heure de nous-mêmes n’a t’elle pas sonné ?
Guy LORDINOT
3 novembre 2024
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