Une autre Guadeloupe, pour un autre destin

— Par Frantz Succab* —

gwada_autreSi la Guadeloupe veut du renouveau, le citoyen le peut… Le temps est venu de mettre en cohérence et de prolonger dans une démarche unitaire les différentes idées circulant parmi tous ceux, partis politiques, mouvements et personnalités citoyens, qui veulent que la Guadeloupe s’appartienne. Elles sont éparses, parfois contradictoires, mais ont forcément des lieux de croisement. Y-a-t-il, par exemple, une muraille de Chine entre ceux qui croient à la nécessité de jouer le jeu démocratique dans la Guadeloupe actuelle et ceux qui n’y croient pas ? Rien n’est moins sûr. Que l’on accorde encore quelqu’efficacité à l’abstentionnisme ou que l’on veuille enfin faire entendre des voix nouvelles associées à des pratiques novatrices au sein des collectivités, le patriotisme guadeloupéen n’est pas une posture figée de l’esprit. Dans la vie politique réelle, il est des questions qui appellent des réponses concrètes de la part de tout guadeloupéen.

 Sur le plan politique, l’année 2015, sauf autre événement majeur imprévu s’annonce, en effet, comme une année électorale, les départementales de mars  et les Régionales de décembre prendront une importance particulière. Elles se jouent sur une trame politique de fond  qu’on pourrait exprimer comme suit : la Guadeloupe doit-elle s’appartenir encore moins ou davantage ? Faut-il une vraie gouvernance guadeloupéenne ou pas ? Même si (et peut-être, « parce que ») l’assemblée départementale issue de ce scrutin perdra de nombreuses compétences de l’ancien Conseil Général au profit de la Région, il semble important pour qui veut soit inviter à subir le désastre du pays, soit contribuer à son salut, d’établir dès le mois de mars une opinion publique favorable à son option. 
 
 La raison du plus fort
 
 Pour la plupart des composantes de la classe politique, la raison du plus fort semble être toujours la meilleure et cela participe du choix de nombreuses alliances. Par conséquent, à quelques mois des premières échéances, le président de région sortant s’applique à faire régner un climat de force, dans les faits, mais surtout dans les esprits. Selon la logique suivante : devient plus fort celui qu’on croit plus fort qu’il n’est, voire invincible. Ses armes sont directement l’administration régionale (plus que son parti) et son pouvoir de faire pression sur l’ensemble des élus, avec lesquels il établit un rapport hiérarchique, et sur les médias, où il se rend omniprésent. 
 De l’autre côté, autour du président départemental sortant, se manifestent ça et là quelques velléités pour certains futurs opposants de montrer leur différence, sans pour autant qu’on voie à ce niveau surgir une vraie alternative politique. C’est, en effet, par le mécanisme même du leadership institutionnel et financier de la Région et de sa Communication que le sortant de la Région parvient à créer un sentiment de suprématie.
 Quant à ce qu’il était convenu d’appeler « la Droite départementaliste », ses principaux ténors tentent d’accorder leurs voix sur un nouveau refrain « Sauver la Guadeloupe ». Cela sonne encore faux. Parce que ceux qui ont épuisé leur mandats à nous persuader que leur attelage à toutes les Droites françaises était notre meilleur salut, n’affichent ni remord ni autocritique. Et puis, on se demande s’il s’agit de sauver la Guadeloupe ou, du point de vue d’une ex-présidente de Région, de sauvegarder à seule fin de revanche un héritage familial. Ça vole tellement plus bas que la courageuse « Déclaration de Basse-Terre » !
 Il est nécessaire de clarifier, de séparer éventuellement le bon grain de la pach, pour donner sa vraie chance à un élan guadeloupéen.
 
 Lutte politique et bataille de la Communication
 
 On ne peut aborder cette question sans montrer combien les habitudes de la presse en Guadeloupe et sa structure sont naturellement favorables à la raison du plus fort. Les chaînes TV et fréquences radio franco-européennes aussi bien que leurs principaux relais locaux, véhiculent à longueur de journée une culture de la peur par une sur-médiatisation des maux de la Guadeloupe. En guise de diffusion de la pensée, qui en matière de culture, d’économie, de sociologie ou de politique, ils invitent principalement les experts ou les porte-paroles de l’idéologie néolibérale. C’est un profond sentiment de fatalité qui en résulte. C’est valable pour l’auditorat et le lectorat populaire de France et d’Europe, mais en Guadeloupe, les conséquences se trouvent aggravées par dépendance et contagion.
 En effet, il se forge dans notre peuple une opinion commune nourrie d’un discours partagé par la presque totalité des commentateurs d’où il ressort que seules les solutions assimilationnistes ultralibérales sont raisonnables et crédibles, quelles qu’en soient les conséquences en Guadeloupe. Tout point de vue contraire est de fait marginalisé. Le pluralisme des idées et des conceptions de la société et du monde, tant vanté par tous les soi-disant démocrates-républicains, se réduit en réalité à la pensée unique. D’ailleurs, l’audimat se passe de plus en plus de pensée : l’émotion publique, la présence répétée d’un look ou d’une « gueule » remplace tout message rationnel.
 Cependant, si l’on écoute les conversations de la rue, on constatera une défiance générale à l’égard des médias autant qu’à l’égard de la classe politique. C’est le signe qu’il existe une perception diffuse d’autres réalités non ou peu médiatisées. Parfois, parmi quelques journalistes consciencieux naissent des doutes qui donnent lieu à une vraie souffrance au travail, tout à fait intériorisée, jamais exprimée dans les faits, tant elle est couverte par la routine défensive de l’ensemble de la profession.
 Faut-il rappeler qu’en colonie le comportement de la presse fût-elle privée- s’est construit peu à peu sur le modèle des temps gaullistes où toute information passait par le filtre du pouvoir étatique !? Aujourd’hui, cette époque semble révolue, mais à la censure à succédé l’autocensure : le conditionnement du journaliste local à ne pas franchir la ligne jaune de la liberté de la presse. Et, à quelques rares exceptions près, les journalistes, même de la presse privée, semblent impuissants contre la contagion de la servilité.
 La presse d’ici se vit génétiquement, comme une liberté octroyée, comme un cadeau du Prince au service prioritaire du Prince. À prendre où à laisser. Ce n’est pas ce qui nous convient, mais ça vaut mieux que rien du tout. « C’est déjà bien pour la Guadeloupe !!! ». Tout cela est pain béni pour tout exécutif local qui se pense et agit comme l’obligé de Paris, qui, même déraisonnablement, fera valoir ce qui est réputé être la raison du plus fort. Alors, que faire et dans quel sens ?
 
 La presse, premier objet de l’intention démocratique
 
 La presse, « quatrième pouvoir », échappe toujours à un peuple sans pouvoir réel sur son propre destin. Le pouvoir de la presse en Guadeloupe est conditionné à suivre le courant du pouvoir mondialisé. Les médias TV en Guadeloupe, notamment le service public en position dominante, malgré quelques heures de journal et de magazines locaux, faute de moyens et de volontés autonomes, consacrent un pourcentage écrasant d’heures à relayer les programmes des grandes médias de France et d’Europe, avec juste quelques transitions pour faire semblant. Ainsi se construit par le son et l’image, chaque seconde et chaque jour, l’externalisation de l’opinion guadeloupéenne.
 En revanche, la radio, y compris celle du service public reste, par tradition, a vocation de proximité. Les plus écoutées (Radio-Guadeloupe et RCI) servent systématiquement de relais aux journaux de France et d’Europe pour l’information, en la couplant avec le journal « régional ». Néanmoins, pour l’essentiel, leur programme est de facture locale. Elles accordent une bonne part à la langue créole et à la parole des guadeloupéens. Tout le problème demeure dans la ligne éditoriale générale qui reste tout à fait conforme au point de vue dominant, même sous une forme culturelle plus proche du pays.
 Pour ce qui est de la presse écrite, les rares titres qui dominent sont soutenus par d’importants capitaux privés, un budget publicitaire, et une aide publique déguisée et partisane, qui leur permettent de surmonter mieux que les journaux indépendants (qui ont presque tous disparu) l’augmentation des coûts de fabrication et de distribution, inversement au recul constant des ventes sur un marché d’à peine 10 000 lecteurs.
  Si l’on considère l’enjeu des médias comme décisif pour l’enrichissement de la vie politique du pays, dans la bataille de la connaissance, pour un projet d’émancipation politique, il faut des mesures collectives. Tous les échelons de la société, les pouvoirs publics, les entreprises, les salariés et les usagers, devraient y faire face comme un seul homme. Il s’agit peut-être là d’une utopie, mais d’une utopie démocratique : le but étant tout d’abord, non de fustiger nos journalistes salariés, mais de soutenir leurs efforts, s’il en est, pour libérer la presse, les médias et l’audiovisuel des logiques financières et du diktat de l’audimat. De leur permettre de remplir leur rôle au service du pluralisme de l’information et de la culture. En fait, au lieu d’être considérée uniquement comme un outil de communication, voire de propagande ou de « promo », la presse doit devenir l’objet même de l’intention démocratique guadeloupéenne et de la volonté de s’appartenir.
 
 Asé pléré, annou fè !
 Pour l’heure, à cause de la situation décrite plus avant, ni les partisans d’une gouvernance guadeloupéenne ni les patriotes au sens large ne se font entendre suffisamment par l’opinion et pressentir comme éléments moteurs d’une force alternative, porteuse d’une autre offre politique, émancipatrice et concrète. Mais ce n’est pas la seule cause : ces forces, très importantes pourtant, sont dispersées au plan organisationnel, discordantes dans le discours et trop longtemps diluées dans la seule intention défensive de survivre. Elles tardent à trouver le plus petit dénominateur commun qui permette de croître, de ressembler à ce dont elles témoignent au fond. S’il faut dénoncer les obstacles dressés par les autres, ne faut-il pas aussi s’en prendre à ses propres turpitudes ?
 Puisqu’il s’agit, pour l’année 2015 et aussi pour l’avenir, d’engager la bataille de la Communication, que faire et comment pour indiquer clairement ce qu’on invite les guadeloupéens épris de responsabilité à faire ou ne pas faire ? Tout d’abord, aucune stratégie de communication n’est cohérente sans message approprié, sans réponses aux questions de l’heure, sans objectifs nettement dessinés. Par exemple : qui se présente aux élections, sous quelle bannière, pour quoi faire, pour changer quoi ? De même que la réponse à ces questions déterminerait le contenu de la communication, de même elle déterminerait les formes d’organisation nécessaires aux hommes. Elle permettrait, en outre, de mieux identifier adversaires et alliés, et par conséquent, préviendraient les alliances contre-nature. Sans cohérence entre la forme, le contexte et le contenu, il n’y a pas de stratégie de communication efficiente. Après, et seulement après, on répond aux questions d’ordre technique sur les outils et les modes de communication les plus adaptés aux temps actuels. Rien n’interdit d’innover.
 
 L’intention démocratique
 
 Quant aux objectifs politiques à atteindre, il en est qui relèvent du court terme : les élections départementales ; du moyen terme : les élections régionales ; et du long terme : une alternative durable, dont les effets attendus sont d’établir les souverainetés nécessaires: politique, économique (alimentaire, énergétique) et culturelle (renforcement, réactualisation et rayonnement de l’identité). De toute évidence, il faut un fil qui relie entre elles ces trois séquences, en leur donnant le sens d’un élan collectif pour que la Guadeloupe s’appartienne.
 Par conséquent, s’il est des patriotes qui récusent l’idée même de participer aux élections « coloniales », qu’ils n’ostracisent pas pour autant ceux qui pensent différemment ! S’ils optent exclusivement pour un travail d’éducation et de mobilisation populaires de terrain, ce n’est pas une mauvaise nouvelle, dès lors qu’ils s’y attèlent pour de vrai.
 Si les patriotes candidats aux élections affichaient d’ores et déjà, ensemble et de concert, une différence de fond d’avec les candidatures politiciennes coutumières, ce serait tout le contraire d’une trahison de l’idéal d’émancipation. C’est réellement à travers les formes multiples d’élévation de la conscience politique du plus grand nombre, en pratiquant une démocratie interne, qu’on peut trouver des passerelles pour la rencontre des fraternités. Le point de départ étant un événement unitaire fort : pacte ou serment, devant l’opinion
 On devrait, à travers l’union active, faite de tolérance mutuelle, d’intégration de nos petites différences ou nuances, voir se dessiner une vraie alternative guadeloupéenne, appelée à croître et se renforcer dans le long terme. Ce sont là les critères qui détermineraient toute union, tous les soutiens et toutes les alliances, et la teneur actuelle du débat politique à naître, en vue de constituer à terme un socle guadeloupéen, appuyé sur un projet immédiat de réhabilitation de la démocratie politique et de changement des mentalités clientélistes:
  • Non au pouvoir concentré entre les mains d’un seul homme ou clan ;

  • Non à la Collectivité utilisée comme un parti politique unique ;

  • Oui à une gouvernance collégiale : d’ores et déjà, une équipe au lieu d’un individu ;

  • Oui  à la liberté de conscience et de parole de l’élu, et par extension, aux droits de l’opposition : tout élu étant mandaté par la souveraineté populaire, dont il représente une part, et non par le(a) Président(e), qui que ce soit ;

  • Oui pour un type de gouvernance facilitant un contrôle populaire permanent.

 C’est une échelle de valeurs tout à fait jouable et traduisible à travers un programme, voire même un élan populaire. Quand on veut, on peut.
 *Frantz SUCCAB
 Auteur dramatique et militant culturel -citoyen
 Membre du Kolèktif pou Sové Gwadloup (KSG)