— Par Yves Perennou —
C’est un gouffre d’au moins six mois qui s’ouvre devant les artistes et techniciens du spectacle. Durant cette période, pratiquement toutes les représentations professionnelles seront impossibles et les séances de répétition collective presque tout autant, pour la musique, le théâtre, la danse, le cirque, le chant. À l’exception des ensembles à cordes, comment jouer ensemble avec masques et distance physique ? Ce semestre de silence, suivi d’une année de rétablissement pour relancer les projets signifierait l’effacement des droits aux annexes 8 et 10 pour une bonne partie des intermittents du spectacle. L’appréhension est vive. La prolongation des droits à l’assurance chômage décidée par le gouvernement avec report de la date anniversaire ne vaut que jusqu’à la fin du confinement. Les deux pétitions ouvertes parallèlement à la mi-avril (Année noire 2020 et Culture en danger) totalisent quelque 200 000 signatures.
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Elles réclament globalement la reconduction des droits actuels sur une année à partir du moment où il sera possible à nouveau de travailler. « Beaucoup tde gens font leurs heures dans les festivals et certains reports de dates vont avoir lieu jusque dans deux ans, il faut donc permettre à tous les intermittents de reconstituer leurs droit à l’assurance chômage, sur un an, plaide Jean-Claude Fall, à l’initiative de Culture en danger. Aujourd’hui, rien ne se passe. Si vous téléphonez à Pôle emploi, on vous répond que vos droits sont prolongés jusqu’au 31 mai. Nous représentons une richesse dans ce pays et, si le statu quo se poursuit, des milliers de personnes seront sans ressources. »
Année blanche : surcoût marginal ?
Mathieu Grégoire, sociologue et membre du comité d’expertise sur les annexes 8 et 10, expose : « Il y a deux possibilités : soit on en reste à ce qui est prévu actuellement avec quelques rattrapages marginaux et, dans ce cas, très probablement une immense majorité d’intermittents n’auront pas leurs 507 heures, surtout dans l’annexe 10 (artistes), donc l’Unedic fera des économies. Soit on laisse tomber le critère des 507 heures sur douze mois, ce qui revient à prolonger tous ceux qui étaient déjà là. En temps normal, 9 intermittents sur 10 sont renouvelés sans discontinuité. Cette solution change finalement peu de choses, si ce n’est un surcoût de chômage additionnel pour des personnes qui sont habituellement au chômage ». Il estime le coût à quelques dizaines de millions d’euros. Des sommes qu’il serait difficile de négocier dans un contexte normal mais qui deviennent dérisoires face aux milliards de dépenses publiques que provoque la crise. Les statistiques de l’emploi annoncent 246 000 chercheurs d’emploi à plein temps supplémentaires sur le seul mois de mars pour toute l’économie française.
Les employeurs attendus
La solution de l’année blanche fait son chemin. C’est l’hypothèse de travail des organisations d’employeurs du spectacle subventionné (Syndeac, Profedim, SNSP, Forces musicales). Leurs préconisations sont actuellement en discussion au niveau de la Fesac, fédération qui réunit l’ensemble des organisations d’employeurs publics et privés du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma. C’est cette instance qui négocie habituellement au niveau de l’Unedic. La position pour l’instant non officielle des employeurs du secteur public est qu’il n’y aura pas de reprise du travail normal avant l’automne. La phase de neutralisation complète (prolongation des allocations actuelles et gel du recalcul des droits) doit donc se poursuivre jusque-là. Ensuite seulement, débuterait une période de reconduction des droits actuels sur un an. Quant à ceux qui auraient atteint leurs 507 heures, ils auraient la garantie de ne pas perdre en valeur par rapport à leur allocation de l’année n-1. Le plan de la CGT
La proposition envisagée par les employeurs du secteur public se révèle assez proche du plan détaillé élaboré par la CGT-Spectacle et qu’elle a dévoilé le 28 avril. Il se résume en plusieurs points : ⁃ prolongation des droits du 1er mars 2020 jusqu’au 28 février 2021, à date anniversaire (12 mois après la dernière ouverture de droits) ; ⁃ reconnaissance d’une « période d’impossibilité de travailler » (PIT) qui va de début mars jusqu’à la réouverture générale des salles de spectacle de cinéma, des festivals et à l’autorisation de tout événement culturel. L’ensemble des droits prolongés ou ouverts le seraient pour 12 mois après la fin de la PIT. La nouvelle date anniversaire est fixe et intervient 12 mois après la date de prolongation ou de réouverture des droits, augmentés de la période de la PIT. ⁃ création d’un comité sanitaire et social qui aura à charge l’étude et les préconisations sanitaires et sociales pour les reprises d’activités. ⁃ Des mesures complémentaires : système pour récupérer des « primo-entrants » et des allocataires en rupture de droits, annulation des franchises ou carences pendant la PIT, méthode de calcul de l’allocation journalière dans le sens le plus favorable aux allocataires, dispositif pour les artistes ou techniciens qui arrivent au terme d’un arrêt maternité ou d’un arrêt maladie de plus de 3 mois à partir du 1er mars…
Pas de confusion sur un fonds d’aide
Quel sort le gouvernement fera-t-il à ces revendications ? Lors de son audition devant les députés de la commission culture, Franck Riester a assuré de sa bonne volonté : il ne laisserait personne au bord de la route. Mais c’est plutôt le ministère du Travail qui a la main sur ce dossier. Muriel Pénicaud s’est déclarée prête à une « réflexion avec les partenaires sociaux pour adapter rapidement les règles d’assurance chômage ». En attendant, les allocations chômage des chômeurs en fin de droit sont juste prolongées en mai. L’un des enjeux de l’idée d’année blanche est de maintenir le fonctionnement des annexes 8 et 10 dans l’Unedic, même si les mesures exceptionnelles pourraient faire l’objet d’un financement spécial de l’État. L’autre option serait de constituer un fonds spécial. On peut voir cette formulation, par exemple, de la part du Syndicat des cirques et compagnies de création (SCC) qui souhaite la mise en place d’un fonds de solidarité alimenté par l’État et les collectivités territoriales : « Il prendrait en charge pour 12 mois l’ensemble des intermittents qui n’auraient pas les 507 heures au moment de leur renouvellement. Les intermittents réintégreraient le système Unedic à partir du moment où ils parviennent aux 507 heures. Ce fonds de solidarité serait actif pendant au minimum deux saisons. À savoir a minima jusqu’en septembre 2022.» Le ministre Franck Riester, lui-même, a évoqué un fonds d’aide géré par Audiens pour récupérer des situations individuelles. Mathieu Grégoire met en garde contre un dispositif qui serait par nature provisoire et qui, contrairement au fonds de 2003, aurait à faire face à la masse des intermittents qui arriveraient en fin de droits : « Cette confusion avec l’ancien fonds transitoire de 2003 est inquiétante, note Mathieu Grégoire. C’est dangereux de s’inspirer de cela, car, cette fois, on ne parle plus d’une minorité d’intermittents, mais d’une immense majorité qui sortirait du régime. Cela me paraît être le rêve du Medef. Il ne faudrait pas que la crise sanitaire soit le coup de pied de l’âne aux annexes 8 et 10. »
YVES PERENNOU