— Par Jean Lojkine, sociologue —
Critique de la finance capitaliste. Pour un financement solidaire Daniel Bachet. Éditions du Croquant, 190 pages, 20 euros.
L’originalité de la démarche de Daniel Bachet tient dans sa conception plurielle de la rationalité économique. Pour lui, en effet, la notion d’efficacité économique, d’efficience, ne se réduit pas à la rationalité économique capitaliste. On peut sortir du cadre étroit de la division entre rationalité économique et « logique des sentiments » en privilégiant une économie alternative tournée vers les valeurs universelles : égalité, justice sociale. Une autre efficacité est possible, est même présente dans le mouvement coopératif à travers la découverte de nouvelles normes, de nouvelles règles, de nouveaux critères de gestion qui relèveraient du « bien commun », de la primauté accordée à la satisfaction des besoins humains et sociaux. Ainsi on peut construire une « nouvelle efficacité productive, économique, écologique ». Le profit ne doit plus être l’unique objectif. On rejoint ici d’autres démarches alternatives comme les « nouveaux critères de gestion » de Paul Boccara. Mais est-ce possible ou n’est-ce qu’une nouvelle utopie ? Daniel Bachet nous montre comment s’est construite une finance solidaire entre 1850 et 1890. Il s’agit tout d’abord de prêts personnels à très court terme, liés aux solidarités territoriales locales ; dans une deuxième phase les dépôts sont rémunérés, ce qui entraîne la mise en place d’un système de dépôts et de crédit portant sur des territoires étendus ; enfin, dans une troisième phase, la « banque générale » est créée au niveau national avec des prêts à long terme et des dépôts à vue qui fonctionnent comme une banque universelle, orientée vers la mutualisation du crédit. Le mouvement coopératif porte donc avec lui une série d’expériences enrichissantes qui permettent de bien discerner les obstacles. La leçon à en tirer est dure, mais nécessaire. Si l’on veut éviter la dérive utopique : pour se généraliser et pour durer, les banques mutualisées localement ont besoin du soutien de l’État et de la coordination avec les banques capitalistes ou étatiques. Ce n’est pas le moindre paradoxe que de rendre les expériences autogestionnaires dépendantes d’une aide de l’État, jugé par ailleurs comme l’ennemi principal de toute tentative d’auto-gouvernement décentralisé. Mais les arrangements locaux qui se développent de façon autonome ne peuvent par eux-mêmes affronter les logiques globales du profit. Créer un mouvement des communs, un Commun de la finance solidaire, implique d’engager la bataille de la mixité économique entre le monde marchand et le monde non marchand. Le partenariat public-privé n’est pas un havre de paix, mais bien au contraire le lieu d’une bataille acharnée entre ceux qui veulent privilégier la satisfaction des besoins de la population et ceux qui privilégient la guerre de tous contre tous.
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