— Par Bruno Odent —
La crise sanitaire met en lumière les travers d’une mondialisation dominée par les critères des marchés financiers, tout en relevant… un besoin inédit de coopérations internationales.
Les prolongements de la crise du coronavirus sur l’économie mondiale éclairent d’une lumière très crue une mondialisation libérale, placée sous l’empire des marchés financiers. En France et en Europe, des tendances graves sont repérées dans plusieurs secteurs industriels clés. On y assiste à une réduction de plus en plus sensible des stocks de pièces détachées ou d’éléments indispensables à certaines fabrications. L’épidémie fait ainsi resurgir les dérives les plus graves d’une mondialisation libérale désignée encore, il y a très peu de temps, comme une méthode sans appel, un moyen incontournable de nourrir la croissance et le développement du monde.
De très nombreux secteurs sont touchés. Mais trois le sont dans des proportions qui les amènent au bord d’un seuil d’alerte : l’automobile, l’électronique et la pharmacie. La « rupture des chaînes de production » avec la Chine ou (et) l’Extrême-Orient constitue un handicap de plus en plus sensible. Elle pousse en Europe l’industrie automobile et ses groupes équipementiers dans les difficultés. Comme en Allemagne, où des dizaines de milliers de salariés sont poussés ces jours-ci vers le chômage technique.
Il faut savoir en effet qu’avant d’être installée en bout de course sur un véhicule, une pièce essentielle du moteur, de l’habitacle ou de la carrosserie peut avoir fait le tour du monde. La recherche frénétique du moindre coût salarial et social, associée à un développement des transports low cost, a largement contribué à ce type d’organisation de la production. Celle-ci est à l’origine d’une partie des délocalisations orchestrées ces dernières années vers les lieux les plus rentables par les gourous de la finance qui pilotent aux destinées des plus grands groupes industriels. Qu’il s’agisse d’accéder à un marché réputé porteur comme celui des États-Unis et de l’Amérique du Nord. Ou qu’il s’agisse de sous-traiter les fabrications vers des pays où le salaire peut être écrasé. Résultat : quand la production est ralentie, voire paralysée par la faute du virus, ces grands ordonnateurs de la mondialisation libérale que sont les places boursières s’effondrent.
Une évolution qui fait émerger un risque de pénurie de médicaments
Dans l’électronique, ce type de dérèglement est plus sensible encore. Les composants des iPhone et autres objets électroniques grand public sont en effet fabriqués en Chine. Or, le groupe chinois Foxconn, qui figure en tête de cette sous-traitance pour les multinationales états-uniennes du secteur comme Apple, est fortement touché par l’épidémie et a dû réviser toutes ses productions à la baisse. Comme ces écrans destinés aux iPhone d’Apple fabriqués à Wuhan ou dans les alentours de l’épicentre mondial de la maladie.
Mais c’est dans l’industrie pharmaceutique que les conséquences de l’interruption des chaînes de production pourraient prendre la dimension la plus dramatique. Les principes actifs de quelque 80 à 85 % des médicaments vendus en France et en Europe sont en effet produits en Chine, dans des entreprises qui sont au moins partiellement fermées car leur personnel doit être protégé de la propagation du virus. Cette évolution fait émerger un risque de pénurie de médicaments. Car les principes actifs, à savoir les molécules qui confèrent aux traitements leurs propriétés thérapeutiques essentielles, sont évidemment déterminants pour leur efficacité. Là encore, les laboratoires pharmaceutiques ont cédé, comme le français Sanofi, à l’injonction des financiers qui, à la recherche du meilleur taux de rentabilité et obsédés par « la réduction des coûts salariaux », ont poussé à l’organisation de cette sous-traitance.
Les conséquences des dogmes les plus convenus de la mondialisation libérale sur l’organisation des productions se trouvent ainsi subitement placées en pleine lumière. Jusqu’à obliger à des révisions spectaculaires de position ceux qui comptent parmi ses acteurs les plus dévoués. Le ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, s’est ainsi risqué à reconnaître que le coronavirus constituerait rien de moins qu’un game changer, soit un événement de nature à changer la donne du fonctionnement de la mondialisation. Il relève « la nécessité impérative de relocaliser un certain nombre d’activités ». Il plaide « une souveraineté économique » de la France et de l’Europe en avançant, à propos de l’automobile, la création « d’un Airbus de la batterie ». Soit une révision de l’orthodoxie libérale aux dimensions aussi floues que modestes, compte tenu de l’ampleur des mesures à mettre en œuvre pour réorganiser réellement les productions mondiales dans l’intérêt de tous les acteurs, au nord comme au sud.
La crise du coronavirus possède une double face : elle conduit aussi à d’impressionnants rapprochements internationaux, notamment déjà avec les acteurs chinois, dans le domaine de la santé, de la prévention et de la recherche pour la mise au point la plus rapide possible d’un vaccin. Elle pourrait être, à l’avenir, à condition de tirer enseignement du désastre libéral, un facteur de rapprochement et de coopération bien plus large, si nécessaire à la mise en place d’une autre mondialisation, bénéfique à tous.
Bruno Odent
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