— Par Marina Da Silva —
Festival international de théâtre au pied du Mont Fuji
Reportage. « Le théâtre est une fenêtre pour regarder le monde », c’est la devise du Shizuoka Performing Arts Center (SPAC). Et quelle fenêtre ! Au pied du Mont Fuji, sur un site naturel d’une vingtaine d’hectares où les champs de thé dialoguent avec les plantations de bambou et les plus belles espèces d’arbres et de fleurs, le SPAC est un royaume.
« Le théâtre est une fenêtre pour regarder le monde », c’est la devise du Shizuoka Performing Arts Center (SPAC). Et quelle fenêtre ! Au pied du Mont Fuji, sur un site naturel d’une vingtaine d’hectares où les champs de thé dialoguent avec les plantations de bambou et les plus belles espèces d’arbres et de fleurs, le SPAC est un royaume. Surplombant la ville de Shizuoka, sa barrière végétale en amortit tous les bruits et seuls les chants d’oiseaux taquinent son silence serein. Sur cet écrin de verdure, s’élèvent un théâtre à ciel ouvert aux gradins mobiles (Udo), un autre plus petit et couvert mais avec un toit à la hauteur vertigineuse (Daendo), deux salles de répétition, des bureaux, une salle de restauration et des appartements pour les artistes en résidence. Des assemblages de volumes géométriques harmonieux où bois, parquets et verres captent la lumière. En dédiant ce terrain à une activité théâtrale et chorégraphique de recherche et de création le gouvernement local de Shizuoka a fait un geste fort qui le singularise dans le paysage du théâtre public japonais.
Si le SPAC regarde le monde, le monde peut aussi regarder et envier le SPAC qui depuis son ouverture en 1997, sous la direction de Tadashi Suzuki, puis à partir de 2007 de Satochi Myagi, metteurs en scène renommés, a su inventer un lieu de vie et de création, ouvrant ses portes aux artistes du monde entier. Parmi eux les français ont été particulièrement choyés : Claude Régy, Daniel Janneteau, Peter Brook, Omar Poras… et pour cette édition, Gisèle Vienne ainsi que Jean-Lambert-wild. La présence du directeur de la Comédie de Caen avec Splendeur et lassitude du Capitaine Iwatani Izumi interprété par l’acteur démiurgique Keita Mishima relève d’un véritable signe du destin. Ces deux là devaient se rencontrer, « c’était écrit ». Il suffit d’ailleurs de les voir ensemble pour se rendre à l’évidence. Comme un yin et un yang, quelque chose en eux semble respirer en complétude.
C’est lorsqu’il est venu jouer Comment ai-je pu tenir là-dedans ?, à l’invitation de Satochi Myagi, en 2010, que Lambert-wild télescope Mishima. Splendeur et lassitude du Capitaine Marion Déperrier, qu’il avait écrit et monté en 1999, continue à sommeiller en lui. Cette évocation intime, à la fois proche et distanciée, de la figure d’un grand-oncle militaire mort à la guerre fut aussi son premier texte publié par les Solitaires intempestifs après avoir obtenu une aide – à son insu – du Centre National des Lettres. Avant d’être comédien et metteur en scène, Lambert-wild rêvait aussi de devenir militaire ou capitaine de bateau, il nous parle donc aussi des échos de son enfance. Si la figure de Marion Déperrier s’ancrait dans les souvenirs familiaux et historiques de la guerre de 14-18, celle d’Iwatani Izumi renvoie à la première guerre sino-japonaise de 1894-95 dans la géographie de laquelle le texte a été transposé. Mais ce qui importe dans la démarche et donne à l’écriture son mystère et sa fulgurance c’est le paysage émotionnel et mental de ce combattant dont l’incarnation ne peut être portée que par un comédien hors-norme.
L’aventure n’ira pas sans obstacles à surmonter. Il faut d’abord convaincre Myagi. Le SPAC, c’est soixante-dix personnes dont une troupe permanente d’une trentaine de comédiens-danseurs-musiciens. Tout ici se gère collectivement, et l’individu n’est jamais au centre. Depuis la récolte des feuilles de thé qui a lieu durant le festival et à laquelle tous participent – après avoir joué la veille la version éblouissante du Mahabharata qui sera donnée en Avignon cet été – jusqu’à la bonne gestion du festival et la fabrication des spectacles. Ou encore dans ces trainings fascinants fondés sur l’approfondissement du geste corporel et du travail sur la respiration et la voix que dirige chaque matin Myagi pour ses acteurs et qui révèle l’engagement et l’osmose en jeu dans ce grand corps collectif. Laisser Mishima jouer seul et être au centre, c’était sortir des codes. Une marque de confiance qui a été payée de retour. A la première de Splendeur et lassitude du Capitaine Iwatani Izumi, ses compagnons sont dans la salle et retiennent leur souffle. Il a fallu trois ans avant que le projet n’aboutisse. Le premier écueil à vaincre fut d’abord le texte qui ne devait pas simplement être traduit mais re-créé et re-écrit. Il le fut avec brio grâce à Akihito Hirano, fin connaisseur de l’écriture théâtrale française, – il a notamment travaillé avec Pascal Rambert – et inventeur d’une langue poétique japonaise d’accueil. C’est cette complicité qui est à l’œuvre sur le plateau, et à laquelle il faut encore adjoindre la présence en coulisses de Alicya Karsenty et de Christophe Farion.
– Lire Plus => sur : http://www.humanite.fr/un-theatre-sur-le-toit-du-monde-546033